• Violoniste - Calliope

     - Tu peux toucher, ça ne mord pas !

     

    Le jeune homme en face d’elle lui jette un regard qui dit en substance ne te moque pas de moi. Elle s’esclaffe.

     - Allez, touche !

     

    Il passe deux doigts timides sur le bois du violon.

     - Mais qu’est-ce que vous avez tous, avec votre… Votre façon de le caresser quasi-religieuse ? C’est un instrument de musique, pas un dieu sur terre !

     

    Elle rit de plus belle.

     

    C’est une fille au visage de lutin, pommettes hautes et nez retroussé, aux cheveux châtains qui dansent la gigue autour de son visage fluet, aux yeux bleus qui lui mangent le visage. Une fille toute petite et toute menue qui flotte dans sa chemise rouge.

     - Regarde comment il faut faire !

     

    Cette façon d’être si sûre d’elle impressionne le garçon. Mais, bravache, il déclare :

     - C’est bon, j’ai compris…

    - Nan… T’as pas compris… Personne n’a encore compris…

     

    Elle parle le français avec une pointe d’accent. Langue de l’Est ou langue du Sud ? Tout semble se mélanger dans son timbre sautillant.

     - Le truc, commence-t-elle laborieusement, le truc, c’est que… Vous voulez le respecter, faire attention à ne pas casser les cordes ou je ne sais quoi mais… Vous n’avez rien compris…

     

    Pensive, elle replace une boucle dans son bonnet. Se mord les doigts. Poursuit.

     - C’est un violon, ça coûte cher, c’est dur à fabriquer et tout ce que tu veux mais… Ça reste un intermédiaire… Un instrument justement… Pas une fin en soi…

     

    Elle souffle, comme si elle fumait, une bouffée de… De quoi ?

     

    Une bouffée d’appréhension, de douleur, de peur, d’excitation, mais à œil et oreille nus cela ne s’entend pas…

     - Un violon, c’est quatre cordes, soixante-et-onze pièces de bois, et pas beaucoup plus. Un violon, c’est une toute petite parcelle de réalité. Une poussière, un clin d’œil, un grain de sable dans l’univers. Et je ne parle pas seulement des violons bas de gamme que le mélomane du dimanche exhibe pour faire glousser de contentement ses amis. Je parle de tous les violons, d’un Stradivarius aussi si ça te chante –de tout, de tous. Un violon seul, ce n’est rien.

     

    Il s’apprête à protester mais elle lui jette un regard impérieux.

     - Un violon, c’est pas infini, personne ne peut te mentir sur ça. Un violon ne vaut rien, mais l’étincelle que tu produis en jouant avec, en laissant tes doigts courir pizzicato, en violentant son calme avec ton archet –ça, ça c’est ce qu’on appelle de l’Art. Une étincelle, ça vient d’un frottement, et il faut que tu te frottes avec ton violon pour que ce soit Beau. Si tu te contentes de poser deux doigts mous et amorphes sur une surface vernis, ça sert à rien ! Strictement à rien 

    - Tu parles bien.

     

    La lutine ne répond pas.

     

    Elle saisit l’instrument. Le cale contre son menton.

     

    Pose l’archet sur les cordes.

     

    Tire. Flux. Reflux.

     

    Pince. Maltraite. Relâche.

     

    Impact entre les cordes, les émotions, les sensations.

     

    Elle et son violon.

     

    Cohésion.

     

    Fusion.

     

    Ne joue pas comme on s’y attend. C’est une musique qui bouge, qui hurle, qui saute, une musique qui crie j’existe ! je compte ! je vis ! une musique qui tressaute entre ses doigts et le bois, une musique qui prend aux tripes, fait se retourner ceux qui étaient indifférents jusque-là, une musique…

     

    Une Musique.

     

    Elle danse insensiblement sur la mélodie, accorde ses pas au tempo, glisse ses pieds dans l’herbe, se lève sur les pointes, se tord, se courbe, glisse au sol et remonte.

     

    Son corps est un roseau malmené par le vent.

     

    Et elle s’arrête.

     

    Essoufflée. Effarée. Heureuse.

     - Non. Je ne parle pas bien.

     

    Il sursaute. Il avait oublié.

     - Si je savais parler, je ne jouerais pas avec mon violon. Je ne le titillerais pas comme je fais, je ne le torturerais pas, ne le cajolerais pas –d’ailleurs, j’aurais pas de violon. Mais tu vois, je suis nulle en mots. J’ai rien à dire qui ne soit pas creux. Alors j’ai choisi mon mode d’expression. Moi, c’est le violon…

     

    Et elle tourne les talons.

     

    Comme si tout était déjà dit –ou que la suite ne méritait pas d’être contée.

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