• Suivre le Rhin- Neiges éternelles

     Le travailleur :

     

    Il n'avait rien dit à personne, mais il avait déjà tout préparé à ce moment-là, c'est certain. Il avait tout préparé dans sa tête, en se souvenant des routes et des cartes, et des noms de villes qu'il allait traverser. Peut-être qu'il avait rêvé à beaucoup de choses, jour après jour, et chaque nuit, couché dans son lit dans le dortoir, pendant que les autres plaisantaient et fumaient des cigarettes en cachette. Il avait pensé aux rivières qui descendent doucement vers leurs estuaires, aux cris de mouettes, au vent, aux orages qui sifflent dans les mâts des bateaux et aux sirènes des balises. C'est au début de l'hiver qu'il est parti, vers le milieu du mois de septembre. Quand les pensionnaires se sont réveillés, dans le grand dortoir gris, il avait disparu. On s'en est aperçu tout de suite, dès qu'on a ouvert les yeux, parce que son lit n'était pas défait.

    Paul avait toujours été un peu étrange. Il ne parlait jamais de lui, jamais de sa famille, on ne savait pas d'où il venait, il ne recevait jamais de colis, jamais de lettres. Rien. Il restait assis dans l'ombre, toujours pensif. Je ne le connaissait que parce qu'il travaillait avec moi à l'usine. On été chargé de préparé les moules des munitions. Parfois, on échangeait quelques mots, mais c'était rare. Ce serait faux de dire qu'il me manque depuis qu'il s'est enfui.

     

     Carnet de Paul Rundewall:

     

     25 septembre 1943 ; camps de STO de Fribourg-en-Breisgeau

     

     Je veux partir, je ne supporte plus la ville de Friboug-en-Breisgeau, je ne supporte plus le camp. Ces munitions, je les fabrique pour tuer des Français, mais je ne veux tuer personne. Personne.

    Je me demande encore pourquoi j'avais quitté les Pays-Bas pour la France. Depuis qui je m'y étais installé, la guerre avait éclaté, et tout me retenait en France. Je n'aurai jamais du rester, c'est la plus grande erreur de toute ma vie. Je me souviens encore du trois mars, quand j'ai reçu l'ordre de partir pour l'Allemagne pour travailler au STO.

    Sept mois dans ce camps, je n'en peux déjà plus. Qui sait combien de temps durera la guerre. C'est décidé, demain je m'enfuirais. J'ai remarqué qu'à 22 heures, quand on doit aller prendre nos douches, la surveillance se relâche. Je prendrai mes affaires (de toute façon, je n'en ai pas beaucoup) et je les mettrai sous ma serviette de bain.

     

    Le chef de travail

     

    J'avais beau être le chef de travail de cette partie de l'usine, je n’aimais pas le STO pour autant. Je suis bon travailleur et c'est pour ça qu'on m'avait donné ce poste. Un soir de septembre 43, je m'en souviens, j'avais vu un gars, Paul je crois, qui partait à l'opposé des douches. Il s'enfuyait et je n'ai rien fait ou plutôt, j'ai fait comme si je n'avais rien vu. Je ne sais pas s'il a réussi à sortir du camps, mais je ne l'ai jamais revu. J'espère qu'il a survécu et qu'il est arrivé à s'enfuir. Mais, je le répète, je ne l'ai jamais revu.

     

    Carnet de Paul Rundewall:

     

    26 septembre 1943 : quelque part près de la Forêt Noire.

     

    J'ai fait en sorte d'être un peu en retard pour aller aux douches. Les autres travailleurs étaient loin devant moi. Alors, je me suis assuré que personne ne pouvait me voir et je suis passé par dessus le grillage. Une fois de l'autre côté, j'ai vérifié une dernière fois que personne ne me regardait et là, je l'ai vu, le chef de travail, qui me fixait. Je n'ai pas hésité une seule seconde, je me suis retourné et je suis parti en courant. J'ai traversé le petit bois, je me suis éloigné le plus possible de la zone industrielle, j'ai couru à travers les champs, le plus loin possible... A la tombée de la nuit, je me suis arrêté dans une petite grotte dans la montagne. J'ai commencé à gravir les hauteurs, pour traverser la Forêt Noire, il me faudra au moins trois jours de marche, et encore, pour y arriver, il faudrait que je marche vite. Pourtant, il faut que je passe le Rhin le plus vite possible, de l'autre côté on ne saura pas tout de suite que je suis recherché.

     

    27 septembre 1943 : Petit refuge quelque part en Forêt Noire.

     

    Je suis fatigué, je ne sens plus mes jambes. J'ai marché toute la journée, sans m'arrêter. Enfin, je suis arrivé à ce petit refuge. Heureusement qu'il était là, je n'aurai pas aimé passer la nuit dehors. Depuis hier, le temps s'est nettement rafraîchi. Je ne serai pas surpris s'il se mettait à neiger avant la fin de la semaine. Il faut que je franchisse le plus vite possible le Rhin, avant la neige, sinon, ça va devenir trop compliqué.

     

    28 septembre 1943 : Quelque part en Forêt Noire, de plus en plus près du Rhin.

     

    J'y suis presque, demain je traverse. Avant la neige, comme je me l'étais promis. J'espère que j'arriverais à dormir cette nuit, malgré le froid. A moins que... oui, je crois qu'il y a une petite maison là-bas. Il faut que j'aille voir.

     

    Le bûcheron;

     

    Par ma fenêtre, je l'ai vu arriver. Un homme, vêtu d'un pantalon brun déchiré sur les genoux, et d'une chemise de la même couleur, exactement. Je me suis dit que ça pouvait pas être un simple promeneur, surtout qu'il avait l'air d'avoir marché au moins deux jours sans s'arrêter, non, il avait plus l'air de quelqu'un en fuite. Il semblait épuisé, je n'allais quand même pas lui fermer la porte au nez, surtout par ce temps, alors au contraire, je l'ai ouverte. L'homme a tout d'abord froncé les sourcils, et quand il a vu mon visage, et l'expression bienveillante qui s'était peinte dessus, il a sourit, d'un sourire de soulagement, un sourire franc. Il a hésité sur le pas de la porte, mais je lui ai fait signe d'entrer, et il m'a suivi.

    Il s'est assis sur la chaise la plus proche du feu, et il a eut raison, parce qu'il avait l'air d'avoir eut très froid. Cet homme, je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu. Pourtant, j'ai été sympa, je lui ai ouvert ma porte, mais quand même il a bien fallut que je lui pose quelques questions.

    « -Hum... Vous m'avez pas l'air d'un promeneur, qu'est-ce qui vous amène par ici?

    -Je ne vous connaît pas, je ne sais pas qui vous êtes, pour qui vous êtes, mais je vais vous faire confiance. Je ne vais pas vous mentir, je suis un travailleur du STO qui s'est échappé.

    -Je vois, je n'avais encore jamais hébergé un fuyard de ce genre... Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de m'occuper de personnes comme vous. Enfin, vous m'avez compris. Je n'ai jamais dénoncé personne. Si quelqu'un n'est pas correct avec moi, je le chasse à coup de fusil. Voilà, vous êtes prévenu, mais de toute façon, vous ne m'avez pas l'air bien méchant !

    -Vous avez raison, je suis tellement fatigué que je ne ferai de mal à personne et surtout pas à vous, en premier parce que je n'ai aucune raison de vous en vouloir, et en second, vu votre force, mieux vaut ne pas vous provoquer.

    -Je suis content que vos intentions ne soient pas mauvaises, continuais-je sur un ton rieur, où compter vous allez, quand vous aurez traverser la Forêt Noire ?

    -Je vais essayer de remonter le Rhin, jusqu'à Rotterdam, aux Pays-Bas, c'est mon pays natal, je compte y retrouver ma famille, et y commencer une nouvelle vie.

    -Les Pays-Bas ! Tu vises loin dit donc, tu en as encore pour un bon bout de marche ! Mais bon, je ne suis pas là pour te baisser le moral, et puis, tu m'as l'air bien décidé ! Mais, pourquoi suivre le Rhin? Et n'as tu pas peur de te faire arrêter?

    -Je vais essayer de m'éloigner le plus des villes et des villages où je serai très facilement repérable, et puis, le Rhin me permettra de ne pas me perdre. Si je me fais arrêter, tant pis, c'est une possibilité que j'ai beaucoup envisagé. Mais j'ai fini par me dire que le principal est d'avoir tenté, si je meurs, ce ne sera pas d'avoir trop travaillé, ce sera en ayant essayé de retrouver mon pays, et ma famille, ce sera une belle mort...

    -Tu m'as l'air déterminé, et j'aime cette détermination, je vais t'aider. Tu veux traverser le Rhin, et bien, je te donne ma barque. Tu la trouveras amarrée à cent mètres environ du grand embarcadère. Essaye de ne pas te faire voir, on pourrai me soupçonner. Et quand tu seras de l'autre côté, laisse-là dans les broussailles, près de la petite chapelle, je trouverai bien un moyen de la récupérer. »

    Je trouvais que cet homme était sympathique. J'ai appris qu'il s'appelait Paul et je lui ai même proposé de manger avec moi, ce que je ne fais que très rarement. Puis il est parti se coucher dans la petite chambre que j'avais aménagé au grenier. Le lendemain, quand je me suis levé, il partait. C'est la première fois que j'étais triste de voir un fuyard, comme je les appelle, s'en aller...

     

    Carnet de Paul Rundewall

    29 septembre 1943, de l'autre côté du Rhin.

    Ce matin, j'ai marché environ une heure et j'ai atteint le Rhin. J'ai suivi le fleuve sur une centaine de mètres, comme me l'avait dit le bûcheron. J'ai trouvé la petite barque sous un saule pleureur. Juste à ce moment là, une patrouille de soldats allemands est passée, ils se sont arrêtés et m'ont dévisagé. J'ai pris un air très détendu, mais j'étais mort de peur qu'ils me demandent mes papiers. J'ai prononcé le plus joyeusement possible un "Guten Tag" tout en cachant mes mains qui tremblaient. Ils m'ont répondu sur le même ton et se sont éloignés. J'étais vraiment soulagé et je me suis dépêché de mettre la barque à l'eau, sur le fleuve. J'étais en sécurité pour un petit moment. Tout en ramant, je me demandais, et je me demande encore, pourquoi les soldats n''avaient pas réclamé mes papiers comme ils auraient dû le faire. Peut-être était-ce parce que mon accent allemand est irréprochable et qu'ils s'imaginaient qu'un fuyard ne sait pas aligner trois mots dans cette langue.

     

    Le lieutenant

    Je n'avais pas prêté grande importance à cet homme, Paul Rundewall qu'il s'appelait, mais ça, je l'ai appris plus tard. Cet homme, il ne m'avait pas paru suspect avec son accent irréprochable et sa petite barque . Pourtant j'aurai du me méfier. Quand j'y repense, je m'en veux, j'aurai du me méfier. Mais ce qui est sûr, c'est que je ne referais jamais la même erreur, je n'oublierai jamais de demander ses papier à quelqu'un...

     

    Carnet de Paul Rundewall

    29 septembre 1943, en fin de soirée, à Colmar,

     

    J'ai traversé le Rhin, tranquillement, lentement, j'ai pris tout mon temps. Je voulais profiter de ce court instant de liberté. J'ai fini par atteindre la rive, alors j'ai amarré la barque à l'arbre le plus proche de la petite chapelle. Avant de m'en aller, j'ai déchiré une page de mon carnet et j'ai écris un mot de remerciement pour le bûcheron. J'y ai mis l'adresse de ma mère, au Pays-Bas, comme ça, au cas où... Je sais que je prends un risque en faisant cela, mais, j'en ai déjà pris tant...

    J'ai marché environ deux heures, marchant dans les vignes de Neuf-Brisach, puis d'Andolsheim et enfin, je suis arrivé à Colmar. Là-bas, je comptait m'installer dans l'auberge du Saesserle car le propriétaire était un ami. Il a été heureux de me revoir et proposa de m'héberger pour une nuit, ou plus. J'ai décliné le plus, j'avais encore une longue route à faire jusqu'à Rotterdam, et il fallait que j'y sois le plus tôt possible...

     

    Le propriétaire de l'auberge de Colmar

     

    Il était vingt heures, vingt-et-une heures au maximum quand il est arrivé. L'auberge était complètement vide, tous les clients étaient soit dans leur chambre soit en train de se balader dans le village. Je l'ai tout de suite reconnu, même s'il avait bien changé. Il avait une barbe de trois jours et ses habits étaient sales et déchirés. Pourtant s'était Paul Rundewall. Il m'a immédiatement pris à part pour me demander s'il pouvait passer la nuit chez moi. «Tu n'es pas obligé d'accepter, je suis un fuyard. Si on m'arrête, tu risques la prison. » Paul pensait peut-être que j'allais le chasser, on ne se conduit pas ainsi avec un vieil ami. Je lui ai même proposé de rester dormir plusieurs jours, mais il a catégoriquement refusé. « Je dois être le plus vite possible aux Pays-Bas. » qu'il disait. Je ne l'ai pas retenu et le lendemain, il est reparti. Son séjour a été court, mais j'ai été content de le voir. Il avait beau avoir peur, il était libre...

     

    Carnet de Paul Rundewall

     

    30 septembre 1943; Mackenheim

     

    Je suis repartie au petit matin, j'ai fait mes adieux à mon ami et je suis sorti de l'auberge. C'est si drôle à dire comme ça, mais je ne m'attache de moins au moins aux gens. Je passe rapidement et je repars, mon seul but, c'est Rotterdam. Juste Rotterdam.

    Il doit être midi, j'ai marché cinq heures ce matin et j'ai rejoins le Rhin. Je m'arrête de temps à autre, parce qu'il le faut bien. Si je n'y était pas obligé, je ne le ferai pas, je marcherai jour et nuit, pour arriver le plus tôt possible à Rottedam, pour revoir le plus tôt possible ma mère, et ma famille...

    Cet après-midi, je compte encore marcher, cinq heures également, si possible, cela dépendra de mon niveau d'épuisement. A la nuit tombée, je dormirai à la belle étoile, quelque part dans un champs. Autant me faire discret, je pense que maintenant, je suis également ici.

     

    30 septembre 1943; Rhinau

     

    J'ai du marcher quatre heures cette après-midi, pas plus. Je suis fatigué, je n'en peux plus. Mes jambes me font mal, je dois me reposer, et surtout, je dois manger, la faim me tiraille. Si je demande à manger à quelqu'un, cette personne me demandera qui je suis, et il me fera arrêté si il sait que je suis un fugitif. Si je vole à manger, je risque encore plus de me faire arrêter, je ne sais plus que faire...

    Une jeune femme passe, elle me jette un rapide regard et s'éloigne rapidement. Elle doit penser que je suis dangereux, à cause de mes habits et de ma barbe mal rasée. J'ai peur. Va-t-elle me dénoncer ? Je n'aurai pas la force de me défendre, je suis trop affaibli.

    Je la voie, elle revient, elle court dans le champs. J'ai peur, que va-t-elle me faire ? Je suis si loin du but, c'est, c'est horrible. tout ce que j'ai fait, pour rien...

    Non, elle s'approche, on dirait qu'elle n'a rien dit à personne. Elle me sourit timidement, m'adresse une phrase que je ne comprends pas. Elle s'approche et me tends un bol de soupe. Je murmure un merci presque inaudible. Elle ne me répond pas. Je mange la soupe encore brûlante, ça me réchauffe, je me sens déjà mieux. Une fois que j'ai finis l'assiette, elle la saisit et me dit une dernière phrase avant de s'enfuir. "Mon père était comme toi, c'était un fuyard. Il n'a pas eu de chance, ils l'ont attrapé et ils l'ont fusillé. Je ne te connaîs pas, je ne sais pas d'où tu t'es enfuit ni pourquoi, mais je ne veux plus de mort." ("Mein Vater war auch Flüchtling. Er hatte kein Glück., er wurde geschnapt und erschossen. Ich kenne dich nicht, ich weiss nicht aus welchem Lager du kommst. Aber ich will keine Toden mehr.")

    Moi qui pensais que tout le monde me voulait du mal, je me rend compte de mon erreur.

     

    2 octobre 1943; Bellheim

     

    Trois jours que je marche sans m'arrêter. Trois jours. Je ne me suis arrêter que pour dormir et me reposer, je n'ai même pas écrit dans ce carnet, je n'en avait pas le temps. J'avance sur mon chemin, j'ai dépassé Strasbourg hier, et je viens de franchir la frontière allemande. Bientôt, si on peut dire ça, je serai à Rotterdam, bientôt...

    Durant ces trois jours, il ne s'est rien passé de spécial, j'ai dormi dans les champs, évitant les villages et surtout contournant Strasbourg. Je n'ai parlé à personne. Par contre, un matin, je suis passé près d'une maison, qui devait être celle du boulanger. Dans la cuisine, ouverte au vent, il y avait une dizaine de gros pains. Il n'y avait personne, alors je suis rentré discrètement et j'en ai pris un. C'est vraiment un gros pain, la preuve, en trois jours, je ne l'ai toujours pas terminé. Pourtant, j'espère qu'il ne manquera pas à ce boulanger...

     

    Le boulanger;

     

    J'avais laissé dans la cuisine les dix gros pains que je venais de cuire, un pain comme ça, je n'en fais jamais beaucoup, ils sont tellement gros qu'un seul suffit à une famille entière. Toute ma commande reposait sur la petite table, et je me suis absenté, quelques instants. Quand je suis revenu, j'ai tout de suite remarqué qu'il en manquait un, puisqu'il y avait une place vide au milieu de la table. J'ai couru à la porte de la cuisine, mais il n'y avait personne, le voleur s'était déjà enfuit. J'ai couru à la mairie pour signaler la nouvelle.On me connaît bien ici, faut dire que je suis le boulanger. Et de toute façon, les allemands feraient tout pour me rendre service, vu le nombre de juifs et de résistants que je leur ai donné. "C'est un fuyard, il m'a volé des pains." que je leur ai dit et ils ont promis qu'ils feraient tout pour le retrouver.

     

    Carnet de Paul Rundewall

     

    3 octobre 1943, Ludwigshafen

     

    Ici c'est plus tranquille qu'en France annexée, je trouve. Ou bien j'ai pris confiance en moi et dans le monde extérieure. Ce soir, je dors dans une petite ferme abandonnée, et dans un lit. Je n'ai pas dormi dans une maison depuis que j'ai été engagé au STO. Ça me fait tout bizarre de me dire ça. Cette petite ferme est un vrai cadeau, par miracle, il y reste un peu de nourriture, ce qui me dispense de voler encore une fois. Il y a aussi des habits propres et en bon état, je vais pouvoir me changer, mes vêtements sales et troués attiraient trop l'intention sur moi. Il y a même une petite salle de bain et un rasoir, je peux dire adieu à ma barbe que je ne pouvais plus supporter. Je suis heureux ce soir, car je me sens vraiment en sécurité...

     

    6 octobre 1943, Boppard

     

    Trois jours de marche, encore, je me suis décidé à faire de plus grandes étapes, pour arriver plus vite à Rotterdam. Je suis déjà à la moitié de mon chemin. Il y a des jours où je me dis que ça n'avance pas et des jours où ça avance très vite. Hier, j'ai eu encore une fois très peur, je traversais un village (parce qu'avec mes habits neufs et mon allure plutôt naturelle pour l'instant, j'en profite), et j'ai croisé une patrouille de soldats. Je me suis souvenu qu'ils pouvaient à tous moment m'arrêter, et j'ai eut vraiment très peur, heureusement, ils ne m'ont pas prêté attention et j'ai pu continuer mon chemin. Mais depuis, j'évite quand même les villages, je commence à avoir peur de ne jamais voir la fin de ce voyage.

     

    8 octobre 1943, au alentours de Bonn

     

    Je commence à m'habituer à marcher huit heure par jour, je ne ressens presque plus la fatigue, c'est fou comme le corps humain est fait. S’adapter comme ça à un tel changement, et si rapidement, je n'en reviens pas. Aujourd'hui, j'ai atteins Bonn, bientôt je franchirai la frontière et je passerai au Pays-Bas. J'ai décidé d'arrêter de longer le Rhin, du moins jusqu'à la frontière, je veux être le plus rapidement là-bas car j'y serai en sécurité. Bien sûr, le pays est dominé par le gouvernement allemand depuis 1940, mais qui aura l'idée de venir me chercher dans ce pays. On me pense réfugié en France, et je suis à l'opposé.

     

    10 octobre 1943, Kerkrade,

     

    J'y suis, je suis aux Pays-Bas, j'ai retrouvé mon pays ! J'ai envie de crier, de sauter de joie, de pleurer... J'y suis... Mon voyage est presque fini. Plus question de me cacher. Je vais essayer de trouver une voiture ou quelqu'un pour m'emmener le plus proche possible de Rotterdam.

    Je me rappelle, un ami à ma mère avait déménagé à Kerkrade peu avant le début de la guerre. J'espère qu'il y habite encore, il pourrai peut-être m'emmener...

     

    L'ami ;

     

    Je n'en avais pas cru mes yeux quand j'avais vu arriver Paul. J'avais été un ami de longue date à sa mère et depuis mon déménagement, nous échangions de longues correspondances pour combler les kilomètres qui nous séparaient. Elle me parlait souvent de son fils, qui était allé vivre en France, et qui, malheureusement, avait été engagé au STO. Ce fut sans doute la plus grande surprise de ma vie quand je l'ai vu arriver, épuisé par un long voyage à pied, mais tellement heureux à l'idée de revoir sa mère. Je n'avait pas hésité un instant et je l'avait invité à dormir chez moi tout en lui promettant de l'emmener à Rotterdam le lendemain. Tout cela semblait irréel, comment peut-on parcourir un aussi long chemin avec comme seul but un nom de ville, Rotterdam. Je ne sais pas. Mais cela ne m'empêcha pas de le faire monter dans ma voiture le lendemain de son arrivée. Il était si heureux que cela me faisait chaud au cœur...

     

    Carnet de Paul Rundewall

     

    11 octobre 1943, sur la route pour Rotterdam.

     

    Trois heures de route, trois heures... C'est si long et si court en même temps ; si court en comparaison à tout le chemin que j'ai parcouru mais si long car je suis si impatient. Ma mère, je vais revoir ma mère, je suis libre maintenant. Je peux vivre. L'ami de ma mère a été très accueillant mais il ne semble pas comprendre mon impatience. Parfois je remarque les coups d'oeil qu'il me lance, il doit se demander ce à quoi je peux penser et ce qui me mets dans un tel état d'énervement. C'est pourtant bien simple, mais pour rien au monde je ne lui donnerait la réponse, il peut bien la trouver tout seul...

    La voiture croise un panneau qui indique « Rotterdam- 8 km ». Je me mets à trembler d'impatience. Plus que huit kilomètres. Qu'est-ce que peuvent bien représenter huit kilomètres sur huit-cent kilomètres ? Rien. Mais pourtant c'est trop long, trop long...

     

    La mère ;

     

    Je me souviens, j'avais entendu une voiture se garer devant l'immeuble. Il y avait tellement peu de voitures dans la ville en ce moment que je suis allé voir à la fenêtre. Cette voiture, c'était celle de mon ami, celui de Kerkade avec qui j'entretenais une correspondance régulière. J'avais commencé à descendre l'escalier. Et puis soudain, j'avais vu apparaître la tête, puis la silhouette de mon fils, mon fils Paul. Je l'avais tout de suite reconnu malgré sa maigreur et cet expression de gravité imprimée sur son visage. Il s'est jeté dans mes bras, cela faisait si longtemps...

     

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