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    RENCONTRE

    Le garçon marchait d'un pas posé vers le portail qui servait d'entrée au collège. Son sac se balançait négligemment sur son épaule. Il était perdu dans ses pensées et ne prêtait plus attention aux autres élèves qui sortaient en courant, bavardaient d'un ton enjoué et rigolaient à s'en fendre la mâchoire.
    Soudain, une personne le bouscula et se campa devant lui. Elle le regarda droit dans les yeux et lui posa une simple question, prononcée d'un ton doux et intrigué à la fois.
    -Comment t'appelles-tu?
    Il leva la tête, étonné qu'on puisse lui accorder de l'importance. Une fille était debout devant lui. Elle avait les mains dans les poches de son jean. Ses cheveux volaient aux vent. Sa posture avait quelque chose de désinvolte, d’insolent., mais son sourire était franc et c'est peut-être ce qui délia la langue du garçon.
    -Je... je m'appelle Thomas.
    L'adolescente fixait toujours le garçon, comme si elle pouvait retirer chaque trait de sa personnalité, chaque instant de sa vie d'un seul coup d’œil.
    -Tu m'a l'air plutôt sympa. Tu as de la chance, je ne me présente qu'aux gens qui me plaisent et tu en fais parti. Donc, je m'appelle Laurélia, j'ai quatorze ans. Et je suis une fille assez banale, et toi ?
    Thomas ne répondit pas, encore étonné de l'assurance de la jeune fille.
    -Allez, déride toi un peu ! Je me croirais en face d'un vieillard qui a fait la guerre de quatorze dix-huit. Tu sais, je n'ai jamais mangé personne.
    Il hésita un instant, un seul instant. Devait-il faire confiance à cette fille? En quelques secondes, il prit sa décision. Cette décision qui allait bouleverser sa vie.

    PRÉSENTATION

    Cette fois-ci, c'est Thomas qui commença à parler. Sa voix avait perdu toute sa timidité.
    -D'accord, je me déride, mais alors on ne reste pas planté là au milieu du passage. Viens, je sais qu'il y a un petit parc pas très loin. Si tu veux, on peut y aller.
    Pour toute réponse, la jeune fille sortit son portable de la poche de sa veste en cuir et tapa rapidement un SMS que Thomas lut par dessus son épaule.
    "Je rentre dans une heure environ. Ne vous inquiétez pas pour moi."
    Ce qui étonna le plus l'adolescent, ce fut l'absence de fautes et de "langage SMS". Cette sorte de respect de la langue française. Sur quelle fille était-il tombé?
    Pour toute réponse à sa pensée, il n'eut droit qu'à un immense sourire.
    -Une seconde, je vais chercher mon scooter. Attends moi, je reviens tout de suite !
    Quelques minutes après comme il l'avait prévu, Laurélia arriva, juchée sur son scooter. Elle avait un écouteur dans une oreille, mais elle semblait prête à écouter la conversation de l'autre.
    -Allez, monte ! T'inquiètes pas, je ne roule pas vite et je vais pas faire d'accident.
    -Ne me dis pas que tu me prends pour quelqu'un qui n'est jamais monté sur un scout'?
    -Euh... On va dire que non !
    Et ils partirent tous deux dans un grand éclat de rire, couvert pas le bruit du moteur qui démarrait.
    Le vent leur giflait le visage, soulevant gracieusement les cheveux de Laurélia. Ils volaient...
    Quelques instants plus tard, ils arrivèrent devant le petit portail qui entourait le parc. C'était un endroit magnifique. Des petits bancs s'alignaient dans un espace assez renfermé, entouré par une nature verdoyante. Des saules pleureurs laissaient tomber leurs élégantes branches pour offrir un peu d'ombre en cette chaude journée de Septembre.
    Laurélia retira son casque qu'elle posa sur le guidon du scooter. Elle releva ses longs cheveux noirs décoiffés par le vent en un chignon. Puis, elle s'avança vers un des bancs, suivi de près par Thomas. Ils s'assirent tout deux en tailleurs sur le banc. Les branches du saule chatouillant leurs visages souriants.
    -Alors, t'es nouveau ? Ça te fait quoi cette rentrée dans notre collège St Exupéry? commença Laurélia sur un ton engageant.
    -C'est surtout étrange, mon ancien collège était en banlieue. Il y avait au moins mille-cinq-cent élèves. Alors qu'ici, il y en a à peine cinq-cent. Je suis complètement dépaysé !
    -Au fait, tu viens d'où?
    -D'une petite ville près de Paris, le nom ne te diras rien... Mais sache que je suis infiniment plus heureux ici.
    -Tu sais, j'aime bien la façon dont tu parles. "Sache" "dépaysé". Ce ne sont pas des mots courants mais je les aime beaucoup.
    Le visage de Thomas se renfrogna soudain.
    -Si tu es venue pour te moquer de moi, tu peux tout de suite repartir.
    Il se leva brusquement, le visage déformé par une colère soudaine.
    Le visage de Laurélia se teinta d'un étonnement mêlée à de l'incertitude.
    -Thomas, qu'est-ce que j'ai fait? Dis moi, juste... dis moi.
    L'adolescent se tourna vers elle, une expression dure et froide s'était peinte sur son visage. La jeune fille recula, elle était emplie de sentiments contradictoires dans lesquels la peur s'imposait.
    -N'essaie pas de me faire croire que tu ne sais pas. Que tu es innocente. Je ne joue plus à ce jeu, je ne me ferai pas avoir une seconde fois.
    Une larme coula sur la joue de Laurélia, qu'elle essuya rageusement du revers de la main.
    -Mais Thomas ! Qu'est-ce qu'y te prends ! Je te fais un compliment et... et tu m'engueules...
    Cette fois-ci, l'adolescente ne se retint plus, elle laissa les larmes couler sur son visage. Les sanglots trop longtemps contenus éclatèrent en un torrent de pleurs qui coulait sur ses joues.
    Thomas s'arrêta, désorienté. Il ne comprenait plus rien. Pourquoi cette fille qui se moquait de lui quelques instants plus tôt venait-elle d'éclater en sanglots. Étais-ce encore pour le ridiculiser ou étais-ce sincère. Il ne savait pas, ou plutôt ne savait plus...
    Après une courte hésitation, le jeune homme s'approcha de Laurélia.
    -Je suis désolé, murmura-t-il, je ne voulais pas...
    Le silence s'installa. La jeune fille releva la tête. Ses yeux étaient rouges, du mascaras avait coulé sur son visage, laissant de longues traînées noires. Soudain, les mots sortirent, brûlants, tranchants.
    -Je ne voulais pas ! C'est ce qu'ils disent tous. Ce n'est pas leur faute s'il te frappe, non. Tu n'avais qu'à pas leur parler. Ce n'est pas leur faute s'il te plaque, tu n'avais qu'à pas les aimer. Nous ne sommes que des poupées, sans sentiments, les pleurs ne sont qu'un déguisement, rien ne nous atteint rien. Les blessures ne nous touchent pas. Nous pouvons mourir mille fois, vous vous en foutez. Nous ne sommes rien pour vous mais vous n'avez pas de cœur...
    Les mots s'éteignirent dans la gorge de Laurélia, et les pleurs reprirent. La respiration de la jeune fille était saccadée, entrecoupée.

     

    Thomas s'approcha encore un peu, inquiet de la réaction de la fille et honteux de la sienne. Mais Laurélia recula encore. Elle se leva en un geste brusque. Son visage avait maintenant une expression étrange, un mélange de haine, de peur et de dégoût. Elle jeta quelques mots au visage du jeune homme. Des larmes de colère emplissaient ses yeux.
    -N'essaie plus jamais de me revoir, tu n'es... tu n'es qu'un con !
    Ces mots frappèrent Thomas en plein visage, il recula, choqué. Laurélia en profita pour partir en courant. Le temps que Thomas réagisse, elle avait déjà enfourché son scooter et démarrait en trombe.
    Thomas s'assit. Il était perdu, désemparé. Il n'en pouvait plus de faire du mal autour de lui. Pourquoi ? Pourquoi donc avait-il prit si mal un compliment ? Pourquoi ?
    Une blessure dans son coeur s'était rouverte. Il sentait sa brûlure l'envahir. Déménager, changer de vie, d'amis, cela ne servait donc à rien?
    Thomas s'assit sur le banc, une larme coula sur sa joue, dans son cou, sur ses bras. Il pleurait amèrement. Cette fille avait raison, encore une fois... Il ne pouvait pas se conduire normalement. Être comme les autres un instant. Non, il devait toujours tout gâcher.
    Soudain, un objet métallique attira son attention. Un portable était posé sur le banc à côté de lui. Il le ramassa et reconnu celui de Laurélia à sa coque. Dans sa colère, elle n'avait pas remarqué qu'il était tombé de sa poche.
    Thomas le ramassa et le mit soigneusement dans sa poche. Il devait prendre une décision, maintenant, tout ça à cause de cet objet qu'elle avait oublié...

    RESTITUTION

    La journée qui suivit ce triste soir fut tout aussi éprouvante pour Thomas que pour Laurélia. Le premier essayait à tout prix de l'aborder tandis que la seconde ne faisait que l'éviter. Le soir, prenant son courage à deux mains il aborda Arthur, le gars qui se trouvait à côté de lui en Maths.
    -Désolé de te déranger, mais je voudrais savoir où habite Laurélia.
    -Qu'est-ce que tu lui veux, si c'est parce que tu l'aimes, t'as aucune chance, c'est pas avec toi qu'elle sortira.
    -Non, c'est pas pour ça, c'est... heu.. j'ai un truc à lui donner.
    -Ça répond pas à ma question mais bon... Elle habite au croisement de la rue Du Bellay. Mais je te dis, t'as aucune chance.
    -Merci pour le renseignement.
    Thomas ne dit pas un mot de plus à Arthur et partit en courant. Il voulait voir Laurélia et lui rendre ce qui lui appartenait.
    Quelques minutes plus tard, il se trouvait devant l'endroit où habitait la jeune fille. C'était une petite maison de pierre blanche, qui possédait un joli toit en ardoise. Thomas hésita un instant, puis sonna. Une femme d'une quarantaine d'année vint lui ouvrir.

     

    -Bonjour jeune homme, qu'est-ce qui t'amène par ici?

     

    Le ton était empli de sympathie. Thomas n'hésita pas à dévoiler la raison de sa venue.

     

    -Euh. Votre fille a perdu hier son portable. Je l'ai retrouvé et je lui ramène.

     

    -Oh... C'est vraiment très gentil de ta part.

     

    Puis, d'une voix forte;

     

    -Laurélia ! Quelqu'un voudrait te parler ! Viens donc !

     

    Et, s'adressant à Thomas;

     

    -Je te laisse, elle va arriver d'une seconde à l'autre.

     

    La femme s'éloigna dans le long couloir qui menait à la porte d'entrée. L'adolescent entendait les pas de Laurélia qui descendait l'escalier. Quand elle arriva en face de lui, son expression changea brusquement, passant de joyeuse à colérique.

     

    -Mais qu'est-ce que tu fais là ! Je t'avais dit de pas revenir. Je veux pas te parler. Surtout si c'est pour que tu dises des conneries.

     

    Le visage de Thomas resta impassible. Il s'attendait à ce que la jeune fille est une réaction de ce genre. Il laissa le flot de paroles se déverser sur lui et il attendit que Laurélia se calme. Quand elle s'arrêta de parler, essoufflée, il s'adressa enfin à elle d'un ton posé.

     

    -Laurélia, je sais que tu m'en veux, que tu ne veux pas me voir, que tu ne veux plus me parler. Mais écoute moi une seconde. Hier, quand tu es partie, tu as oublié ton portable sur le banc. Je te le rends. Voilà... Maintenant tu peux me chasser, m’engueuler, tout ce que tu veux.

     

    L'adolescente jeta un regard étonné à Thomas. La veille, ils s'étaient disputés très fort. Et soudainement, voilà qu'il sonnait chez elle pour lui rendre son portable. Tout cela avait quelque chose d'étrange, un petit goût de mystère qui ne déplaisait pas à la jeune fille.

     

    Thomas tendit le portable à Laurélia, celle-ci hésita, puis le saisit. D'une voix douce, elle s'adressa à lui;

     

    -Je suis désolée pour ce que je t'ai dit hier. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Mon caractère est tellement aléatoire. Je te remercie de m'avoir rendu mon portable, vraiment...

     

    -Je voulais également savoir si ... si on pouvait, recommencer comme s'il ne s'était rien passé. Oublier et recommencer du début.

     

    Le visage de Laurélia s'éclaira d'un magnifique sourire. Ses yeux pétillèrent de joie.

     

    -Et bien. Pourquoi pas? Ça te dirait d'aller au même parc qu'hier, sur le même banc. Revivre le même instant mais en changeant certaines données.

     

    Thomas acquiesça d'un signe de la tête.

     

    Laurélia leva la tête et cria derrière elle ;

     

    -Nathalia ! Je vais au parc avec Thomas, je reviens vers vingt heures !

     

    Son cri se perdit dans la maison. L'adolescente attendit une réponse positive qui vint bientôt. Puis, elle s'adressa au jeune homme;

     

    -Allez viens, je te propose d'y aller à pied cette fois-ci, de toute manière, les clés de mon scout' sont restées dans ma chambre.

     

    Tout en marchant, Laurélia déverrouilla son portable. Elle y brancha ses écouteurs et en tendit un à Thomas tandis qu'elle mettait l'autre dans une de ses oreilles.

     

    -Tiens, écoute...

     

    Tout d'abord, quelques accords de guitare, puis une voix, une voix qui s'éleva, grave, un peu bourrue et magnifique en même temps.

     

    "Chez Jeanne, la Jeanne,

     

    Son auberge est ouverte aux gens sans feu ni lieu

     

    On pourrai l'appeler l'auberge du bon Dieu

     

    S'il n'en existait déjà une...

     

    La dernière où l'on peu entrer

     

    Sans frapper, sans montrer,

     

    Patte blanche..."

     

    Les paroles étonnèrent Thomas. Elles étaient si simples, et en même temps, elles avaient un sens si profond...

     

    Il se laissa emporter par ces mots.

     

    "Quand elle est mère universelle,

     

    Quand tout les enfants de la terre,

     

    De la mer et du ciel.

     

    Sont à elle..."

     

    La dernière phrase mourut, et les accords de guitare la suivirent. Laurélia leva la tête:

     

    -Alors, ça te plaît? C'est daté, mais j'adore.

     

    -C'est étrange, étrangement vrai, étrangement beau. Ces mots si simples qui sont magnifiques dit comme ça.

     

    -Tu ne connais pas Georges Brassens?

     

    -Non, j'ai déjà entendu ce nom, mais je n'ai jamais écouté.

     

    -Et bien, tu viens de faire sa connaissance.

     

    Un sourire éclaira les lèvres rosées de Laurélia.

     

    -Je suis heureuse de te l'avoir fait découvrir.

     

    Elle fit une pause, puis questionna,

     

    -T'écoutes quoi comme musique?

     

    Le garçon hésita;

     

    -Euh... Je n'écoute pas de musique.

     

    -Quoi?

     

    -Je n'écoute pas de musique.

     

    -J'avais entendu, j'ai juste dis ça parce que ça m'avait étonné. Tes parents écoutent quoi alors?

     

    -Rien... Rien de rien.

     

    -Mais. Mais ça doit être horrible, heureusement que tu m'as rencontré, je vais pouvoir faire ton éducation musicale.

     

    Elle finit sa phrase en un petit éclat de rire. Bientôt, ils arrivèrent devant le grillage du parc. Ils se dirigent vers le banc de la veille et s'y assirent.

     

    Laurélia prit la parole;

     

    -Recommençons comme hier. Présentons nous, mais cette fois ci, pas de gaffes.

     

    -D'accord.

     

    Un instant de silence, chacun attendait que l'autre se lance, commence la conversation. Enfin, Thomas rompit le silence;

     

    -Comment tu t'appelles?

     

    La jeune fille éclata de rire. C'était la question la plus évidente et pourtant la moins attendue.

     

    -Euh... Je m'appelle Laurélia, Laurélia Raworsky, et toi?

     

    -Thomas Simille, je sais mon nom de famille est ridicule. Mais bon... J'imagine que tu t'en fiches ! Je suis en troisième dans le même collège que toi, le collège St Saint-Exupéry. Je viens de déménager ici, avant j'habitais en banlieue de Paris.

     

    Un petit rire lui échappa, tout cela était tellement étrange. On aurait presque dit une pièce de théâtre mal jouée.

     

    -Allez, à toi maintenant, dit-il en s'adressant à Laurélia.

     

    La jeune fille prit une grande inspiration et commença.

     

    -Je... euh... Je vis ici, à Marielle-sur-Mer, depuis que j'ai deux ans. J'ai été adoptée par Nathalia et Yvan Raworsky. Je suis d'origine colombienne. J'ai treize ans et je suis aussi en troisième. J'ai sauté une classe et j'ai un an de moins que toi.

     

    Elle s'arrêta, essoufflée, elle avait déclamé sa phrase sans s'arrêter. D'un ton monocorde. Elle regarda Thomas dans les yeux et ils partirent tout deux dans un fou rire incontrôlable. Des larmes leur montaient aux yeux et leur ventre leur faisait mal à force de rire. Au bout d'une dizaine de minutes, ils réussirent enfin à se calmer.

     

    -Bon, on arrête de faire les idiots, commença Laurélia, sinon on n'est pas rendu.

     

    -Euh... Est-ce que tu as une passion, à part la musique?

     

    -Oui, je lis beaucoup, de la poésie, du théâtre et des romans. Et j'écris aussi et toi?

     

    -Moi, je n'en ai pas vraiment, je dessine un peu, je lis aussi parfois. Souvent, je me balade et je croque les bâtiment ou paysages que je vois.

     

    -Oh... Tu me montreras?

     

    -Si tu veux.

     

    Et, joignant le geste à la parole, il sortit de la poche de son blouson un petit carnet de cuir noir. Thomas l'ouvrit, une page au hasard. Un paysage apparut, une petite crique où un enfant jouait au cerf-volant.

     

    -Ça, c'était en Bretagne, cet été, près de Douarmenez.

     

    En effet, en bas à droite d'une écriture minuscule et presque indéchiffrable, il y avait écrit "un de ces moments merveilleux qui te font aimer la vie".

     

    Laurélia était en apnée, subjuguée par le dessin. Chaque détail était si bien retranscrit qu'elle en demeurait ébahie. Elle prit le carnet des mains de Thomas et demanda timidement;

     

    -Je peux?

     

    Il acquiesça d'un signe de tête.

     

    Les mains de la jeune fille tremblait. Elle tourna fébrilement les pages du carnet. Elle s'arrêtait sur chaque dessin, le contemplant un instant, puis elle tournait une page, une page et une page encore.

     

    Soudain, Laurélia s'arrêta devant un dessin. Ses yeux ne se détachaient plus de la petite fille recroquevillée sur elle même, seule au milieu d'un tourbillon de brume. Ce dessin avait quelque chose de puissant, de différent. Il n'y avait pas de titre, contrairement à l'habitude qu'avait Thomas de noter une phrase en bas de chaque dessin.

     

    Une larme coula des yeux de Laurélia et tomba sur la page. Elle tenta d'essuyer le papier, mais cela ne fit qu'étaler le crayon en une tâche sombre.

     

    La jeune fille écarta un peu le carnet et bredouilla;

     

    -Je suis désolée, je ne voulais pas...

     

    Et elle éclata en sanglots.

     

    -Un si beau dessin, dit-elle à travers ses pleurs, un si beau dessin. Et je l'ai gâché. Pourquoi... Oh, pourquoi j'ai pleuré ? Je ne voulais pas...

     

    Les larmes l’empêchèrent de continuer. Thomas lui prit la main et il la serra très fort pour la réconforter.

     

    -C'est pas grave, dit-il, tu sais, je te referais le même, en grand pour toi. Maintenant, arrête de pleurer, je ne t'en veux pas. Ne t'inquiète pas.

     

    -Je... je suis désolée.

     

    -Je sais, tu me la déjà dit. Calme toi. Je t'en pris...

     

    Il saisit son carnet, l'ouvrit à une page encore immaculée et commença à dessiner.C'était comme si sa main connaissait le papier par cœur, il n'avait aucune hésitation. Peu à peu, le visage de Laurélia apparut. Les cheveux commencèrent à pousser; ils avaient l'air tellement vraid qu'on avait envie de les caresser. Thomas fit encore quelques traits de crayon. Puis, il écrivit le titre en bas de la page "Laurélia Raworsky par un beau jour de printemps dans le parc". Ensuite, il détacha la feuille du carnet et la tendit à la jeune fille. Celle ci, occupée à sécher ses larmes, n'avait pas remarqué que Thomas la dessinait. Elle prit le papier d'un air étonné et le déplia. Quand elle comprit ce que c'était, les larmes coulèrent de ses yeux.

     

    -Laurélia, s'il te plaît, arrête de pleurer...

     

    -Je pleure de joie, idiot.

     

    Et elle laissa échapper un petit rire.

     

    -Il est quelle heure? demanda soudainement Thomas.

     

    Laurélia sortit son portable de sa poche et l'alluma;

     

    -Il est... Non, c'est pas possible, déjà vingt-et-une heures. J'avais promis d'être à la maison à la maison à vingt heures. Je suis désolée Thomas, mais je dois m'en aller. On se revoie demain au collège, et je te donne rendez-vous ici vendredi prochain vers dis-sept heures.
    -D'accord, je serai là. Bonne soirée. Et j'espère que tes parents ne t'engueuleront pas.
    -J'espère moi aussi !
    Et Laurélia laissa échapper son rire tant apprécié par Thomas.
    -Bon faut vraiment que je file.
    Et elle partie en courant. Quelques minutes plus tard, la jeune fille arrivait devant la porte de sa maison qu'elle ouvrit à la volée. Elle traversa le couloir au pas de course et arriva enfin dans la petite cuisine. Nathalia et Yvan était tous deux assis autour de la petite table.
    -Ah. Te voilà enfin, nous t'attendions pour manger.
    -Je... Je suis désolée d'être en retard, je n'ai pas vu le temps passé. J'espère que vous ne vous êtes pas inquiétez.
    -Mais non. Nous savons pertinemment qu'à chaque fois que tu sors avec des amis tu oublies l'heure. Et de toute façon, s'il t'était arrivé quelque chose, tu nous aurais fait un SMS.
    La conversation s'arrêta là et Laurélia s'assit et commença à manger.

     

     

     

    LES MOUETTES

     

     

     

    Laurélia était seule dans sa chambre. Devant elle se trouvais un livre qu'elle referma prestement. Une larme coula sur sa joue. La mouette, la mouette de Tchekhov et le flacon d'Ether qui avait éclaté. Cette fille, Nina, elle était folle et profonde en même temps. C'était elle la mouette. Une seconde larme mouilla le visage de Laurélia, cette fois-ci, elle la balaya de la main. Ce n'était qu'une pièce de théâtre de toute façon mais... Mais elle était tellement profonde, tellement vraie.

     

    Soudain, la jeune fille entendit trois coups sourds qui provenaient de la porte de sa chambre.

     

    -Entrez, cria-t-elle.

     

    Et Thomas ouvrit doucement la porte.

     

    -Ah... C'est toi, continua Laurélia.

     

    -Oui, c'est moi, ta mère m'a dit d'aller dans ta chambre, puisque, de toute façon, il pleut trop pour aller au parc.

     

    Il s'arrêta un instant.

     

    -Mais... mais pourquoi tu pleures?

     

    -Pour rien, ne t'inquiètes pas. C'est juste un livre.

     

    -Un livre, quel livre?

     

    -La mouette, de Tchekhov, une pièce de théâtre magnifique.

     

    -Je pourrais te l'emprunter ?

     

    -Euh. Oui, si tu veux. Mais je ne sais pas si ça va te plaire.

     

    -Même si ça ne me plaît pas, je le lirais, pour toi...

     

    -C'est... c'est gentil.

     

    Le silence s'installa. Les deux amis semblaient incapables de le briser. Ils se dévisageaient tous deux, attendant que l'autre ai le courage de parler. Enfin, Laurélia se lança;

     

    -Tu... Tu as fait de nouveaux dessins?

     

    -Oui. J'en ai fait trois qui se ressemblent mais qui sont en réalité très différents. Et je voulais te poser une question en rapport avec eux.

     

    Tout en parlant, Thomas sortit de son sac à dos le petit carnet noir. Il montra les trois dessins à Laurélia. Le premier représentait une jeune fille aux cheveux blonds extraordinairement longs recroquevillée sur elle-même au milieu d'une nuée de mouettes.

     

    -Les mouettes, se sont les personnes ordinaires. Ceux que tu croises tous les jours dans la rue, expliqua Thomas.

     

    Le second dessin représentait également la jeune fille mais cette fois là, elle était debout au milieu des mouettes, riant à gorge déployée.

     

    Sur le troisième, la jeune fille dansait également, mais un masque lui couvrait le visage, un masque de mouette.

     

    Thomas releva la tête et contempla Laurélia qui semblait fascinée par les dessins.

     

    -Le... Lequel te correspond? Laquelle de ces jeunes filles es-tu?

     

    Laurélia regarda Thomas dans les yeux. Le visage de la jeune fille était devenu sombre, impassible.

     

    -Je ne sais pas comment tu fais pour dessiner comme ça. Je ne sais pas comment tu fais pour comprendre de telles choses. Mais je ne veux pas le savoir...

     

    Une larme coula sur la joue de la jeune fille.

     

    -Pourquoi tu me poses cette question, alors que tu en connais déjà la réponse. Tu sais très bien que je suis celle qui porte le masque, celle qui se déguise en mouette, tu l'as deviné depuis notre première rencontre. Pourquoi tu me poses cette question ? A quoi ça te sert?

     

    Ce fut au tour du visage de Thomas de se voiler.

     

    -Toi aussi tu me poses des questions dont tu connais la réponse. Tu le sais très bien. Si je te pose cette question, c'est pour te faire comprendre que tu peux vivre en étant toi-même et non en te cachant. Ça ne sert à rien de se cacher, de porter le masque. En dessous, tu serras toujours la même. Affirmes-toi, dévoiles-toi !

     

    Sa voix se brisa sur ces mots. Et les larmes sortirent, larmes de rage, larmes de peine.

     

    Laurélia prit le carnet et le referma, d'une main ferme.

     

    -Ne pleures pas, dit-elle, ne pleures pas. S'il te plaît.

     

    Sa voix était devenue craintive, ce n'était plus celle d'une adolescente mais celle d'une enfant de cinq ans.

     

    -Racontes moi, racontes moi tout. Et je ferais de même...

     

    Thomas commença à parler, sa voix était ponctuée de sanglots.

     

    -Je... J'ai passé ma sixième et ma cinquième dans un collège près de Paris. Le collège Pablo Picasso. J'ai toujours eu du mal à me faire accepter, j'étais, comment dire, bizarre, étrange... Je n'avais qu'un ami, Paul. Nous étions tout d'eux différents des autres. Et nous avions tout deux du mal à nous intégrer. J'avais plutôt des bonnes notes, lui aussi. On nous traitait d'intellos, de con, de tout ce que tu veux. Nous dérangions les autres, ils ne nous aimaient pas. Sans cesse, ils trouvaient un nouveau moyen de nous humilier. On nous poussait au self pour que nous cassions nos plateaux, on nous volait nos portables, on nous cachait nos sacs, on nous volait nos affaires. Bref, c'était très dur à vivre. Je n'osais pas en parler à mes parents, Paul no, plus. Les profs avaient bien remarqué que ça n'allait pas, mais ils n'y prêtaient guère attention. Un soir, deux troisièmes nous ont coincé à la sortie des cours. Ils nous ont pris nos portables et les ont cassés, puis ils ont pris nos sacs et les ont violemment jetés contre les murs. Quand ils ont eu finis avec nos affaires, ils ont commencé à nous frapper. Alors, j'ai explosé, je ne sais pas ce qui m'a pris. Je les ai attaqués, poussés. J'ai déversé toute ma rage sur eux, je ne pouvais plus m'arrêter. Un surveillant a fini par s'apercevoir qu'il se passait quelque chose. Il a appelé le principal, l'infirmière, le CPE. Ils n'ont pas demandé que je m'explique, ils m'ont juste fait passer en conseil de discipline. Je n'ai pas eu le droit de me défendre. Enfin, j'aurai pu, mais il ne m'aurai pas cru. Ils ne nous croient jamais de toute façon... J'ai été renvoyé de mon ancien collège. Mes parents non plus ne m'ont pas cru. Ils ont pensé que j'étais violent, ils le pensent toujours. Ils m'ont inscrits dans le collège privé. Ça n'a tenu qu'une année. Une année de trop. Personne ne voulait me parler. J'étais violent, dangereux. Si on s'approchait trop de moi, on risquait de se prendre un coup. Cette année a été pire qu'un enfer. Mes parents ont accepté de déménager à contre-cœur. Au début, ils ont voulu me mettre dans un établissement spécialisé. J'ai refusé et au final j'ai été inscrit au collège Saint-Exupéry, ici. Voilà... Voilà mon histoire, tu la connais maintenant...

     

    Laurélia fixe Thomas qui fait de même. Leurs yeux humides s'envoient des messages silencieux. C'est au tour de la jeune fille de parler, de se dévoiler...

     

    -Mes parents, ce que tu connais, ne sont pas mes vrais parents. Ma vraie mère, celle qui m'a porté dans son ventre, celle qui m'a mis au monde, ma vraie mère est morte lorsque j'avais trois ans, d'une maladie due à la sous-nutrition. Mon vrai père l'aimait plus que tout. Après sa mort, il a perdu goût à la vie. Le matin, il ne se levait que pour aller travailler, pour pouvoir gagner de l'argent et me nourrir. Si je n'avais pas été là, il se serait suicidé. Mais il ne voulait pas m'abandonner. Je possédais en moi une partie de la femme qu'il avait aimé et qui était morte. Alors, il a vécu pour moi jusqu'à que j'ai sept ans. Le dix février 2009, vers midi, il est mort, renversé par une voiture. Une voiture qui roule trop vite, comme toujours. On m'a placée dans un orphelinat. Six mois plus tard, Mme Maguila, la directrice de l'orphelinat, nous a présenté un couple qui voulait adopter un enfant. Ils ne désiraient pas choisir l'enfant qu'ils élèveraient. La directrice a d'abord refusé -je ne suis pas là pour choisir à votre place, débrouillez vous- Puis, en voyant que mes futurs parents n'adopteraient personne s'ils devaient choisir, elle décida pour eux. Je n'ai jamais su pourquoi elle m'avait choisit, moi, alors qu'il y avait une centaine d'autres enfants qui attendaient des parents. Je ne sais pas mais ce que je sais, c'est qu'un mois plus tard, je prenais pour la première fois l'avion en compagnie de Nathalia et Yvan Raworsky. Je ne suis jamais revenue en Colombie, mon pays d'origine. Nathalia et Yvan ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour m'élever convenablement. Ils sont très doux avec moi, ils me laissent souvent libre de faire ce que je veux. Mais je me sens coupable. Coupable de ne pas les considérer comme mes vrais parents. Coupable de ne pas les appeler Papa et Maman, de ne pas avoir la même affection envers eux qu'envers mes vrais parents. Coupable de rêver que mes parents ne soient jamais morts. Ils ont fait tellement de choses pour moi, et je ne les remercie pas. Je reste distante avec eux, comme si une barrière nous séparait. Je reste enfermée dans mes livres, ne dévoilant mes pensées qu'à un petit carnet. Je voudrais tellement pouvoir leur rendre tout ce qu'ils m'ont donné. Mais à chaque fois que j'essaye, j'ai l'impression de trahir mes vrais parents. De les oublier, de les remplacer...

     

    Ils se regardaient tous deux, chacun trouvant que l'autre était le plus à plaindre. Thomas se rapprocha de Laurélia, de manière à poser sa tête sur l'épaule de la jeune fille. D'une voix douce et sûre, il dit

     

    -Tu sais, je pense que tu es plus qu'une amie pour moi.

     

    Laurélia sentit son sang parcourir chaque partie de son corps à une vitesse trop rapide, à un rythme trop saccadé. Cette phrase voulait-elle dire qu'il l'aimait ? Cette perspective l'enchantait et lui faisait peur en même temps. L'amour pourrait renforcer leur amitié mais aussi la briser en un quart de seconde.

     

    Les sentiments de la jeune fille était confus. L'aimait-elle ou avait-elle juste une grande affection pour lui. Cette question résonnait en elle et son visage avait pris un visage si grave qu'il en devenait inquiétant.

     

    -Laurélia? Ça va? Est-ce que tu as un problème, tu es toute pâle.

     

    -Non non, t'inquiètes, je... je pensais à un truc, mais rien de grave je te dis.

     

    Elle eut un instant d'hésitation.

     

    -De quoi tu parlais tout à l'heure quand tu parlais disais que j'étais plus qu'une amie pour toi.

     

    Le sourire qui s'était inscrit sur les lèvres de Thomas disparaît. Son visage prend un air grave, il réfléchit.

     

    -Je... Je ne sais pas vraiment, c'est un peu comme de la tendresse, pas de l'amour, plutôt une grande affection pour toi. Je n'ai pas le même comportement avec toi qu'avec... je ne sais pas... enfin, les filles que je côtoyais dans mon ancien collège. Tu tiens plus à mes yeux que beaucoup d'autres personnes...

     

    -Je comprends, c'est ce que je ressens également pour toi, mais je ne serais pas arrivé à le décrire d'une pareille façon.

     

    La cloche de l'église sonna huit coups, c'était l'heure pour Thomas de rentrer. Il fit la bise à Laurélia pour lui souhaiter une bonne soirée.

     

    Ce que Laurélia ne savait pas encore, c'est que Thomas venait de lui mentir. Contrairement à ce qu'il avait dit, c'était de l'amour qu'ils ressentait pour elle.

     

    Le soir, assis sur le rebord de sa fenêtre, Thomas pensa à Laurélia, à ses cheveux couleurs d'ébène qu'elle aimait tant relâcher sur sa veste en cuir.

     

     

     

    ORAGE

     

     

     

    Laurélia attendait l'arrivée de Thomas. Elle savait qu'il allait apparaître dans quelques secondes au coin de la rue, à moins qu'il ai renoncé à venir à cause de la forte pluie.

     

    Soudain une grosse voiture noire se gara devant la maison, et Thomas en sortit, accompagnée d'une petite femme très élégante qui devait être sa mère. Dès que le jeune homme fut rentré dans le maison, elle retourna dans la voiture et démarra en trombe.

     

    A peine une minute plus tard, la porte de la chambre de Laurélia s'ouvrit et laissa apparaître un Thomas souriant, trempé par la pluie.

     

    -Je crois que c'est raté pour notre promenade au parc, dit-il à la jeune fille.

     

    -Quelle perspicacité répondit ironiquement Laurélia tandis qu'un sourire éclairait ses lèvres. Je suis contente de te voir !

     

    La jeune fille était assise sur le rebord de la fenêtre ouverte et contemplait le ciel qui était illuminé de temps à autre par de magnifiques éclairs.

     

    -Pourquoi ne fermes-tu pas ta fenêtre? demanda Thomas.

     

    -J'aime la pluie, j'aime les orages, je laisse toujours ma fenêtre ouverte quand le ciel se déchaîne. Il est particulièrement beau aujourd'hui, tu ne trouves pas?

     

    -Je suis d'accord avec toi, c'est extraordinairement beau, mais je n'aime pas ça. Depuis que je suis tout petit, j'ai peur des orages. Ne me demande pas pourquoi, je ne saurai pas te répondre.

     

    -Quand j'étais petite, je devais avoir aussi peur que toi, et un jour, j'étais en montagne, je ne sais plus où. Il y a eut un orage énorme, et magnifique. Les éclairs tombaient sur les sommets enneigés éclairant la montagne. Je n'avais jamais rien vu d'aussi beau. Depuis, dès qu'il y a un orage, j'attends avec impatience les éclairs...

     

    -C'est beau ce que tu dis. Tu exprimes tout d'une manière merveilleuse. J'aime quand tu parles comme ça... Un jour, je pourrais lire un petit quelque chose que tu aurais écrit?

     

    -Bien sûr, je vais voir ce que j'ai...

     

    Laurélia se leva et se dirigea vers son bureau. Elle ouvrit l'un des tiroirs et en sortit une pochette remplit de feuilles.

     

    Elle saisit l'une d'elles et commenca à lire,

     

     

     

    Souvenirs;

     

     

     

    Dans le ciel infini

     

    Se noient les nuages

     

    Comme les vieux sages

     

    Après une longue vie

     

     

     

    Au loin sur la mer

     

    Meurt le soleil

     

    Explosion de merveilles

     

    Remplies de lumière

     

     

     

    Quel beau manège

     

    Que de voir la neige

     

    Doucement se déposer

     

    Sur ta tombe émaillée

     

     

     

    Le vent fouette mes joues

     

    Recouvertes de larmes

     

    Je pourrais en faire des armes

     

    Pour me protéger de tout

     

     

     

    Mais je préfères me souvenir

     

    Pleurer un peu, puis repartir

     

    Et comme un oiseau m'envoler

     

    Au gré du temps, vivre ma destinée...

     

     

     

    Laurélia se tait un instant, le temps que ses mots s'impriment dans l'esprit de Thomas, puis elle dit;

     

    -Ce poème, c'est pour mes parents. Mes vrais parents. C'est l'amour que j'ai pour eux. Ils sont morts mais je les aime encore, bien que je continue ma vie sans eux. Tiens je vais t'en lire un autre;

     

     

     

    Désert blanc;

     

     

     

    Au milieu des flocons de neige, elle avançait

     

    Un long manteau de fourrure l'enveloppait

     

    Ses cheveux noirs d'ébène dansaient avec le vent

     

    Elle marchait dans le désert blanc.

     

     

     

    Elle ne se souvenait de rien.

     

    D'où elle venait, où elle allait. Rien.

     

    Même pas son nom. Rien.

     

    Elle avait tout perdu dans ce désert sans fin.

     

     

     

    Ses yeux fatigués, vides de larmes

     

    Conservaient leur profonde beauté

     

    Elle avançait sans armes

     

    Sans rien pour la protéger

     

     

     

    Elle avançait pourtant,

     

    Et rien ne l'attaquait

     

    Elle avançait toujours

     

    Plus déterminée que jamais.

     

     

     

    Elle voulait retrouver sa vie d'avant,

     

    Celle qu'elle aimait tant,

     

    Elle n'avait plus de souvenirs

     

    Mais elle se construirait un avenir...

     

     

     

    Elle marchait quand des lumières au loin

     

    Dévièrent son chemin

     

    Ces lumières qui brillent au loin

     

    Ce sont les lumières de demain...

     

     

     

    Cette fois-ci, Laurélia ne prit que le temps de reprendre son souffle.

     

    -Ce poème, c'est l'un des plus fort pour moi. La fille aux cheveux d'ébène, c'est moi. C'est moi qui suis perdue dans le désert blanc. Enfin, c'était moi, après la mort de mes parents, dans cet orphelinat horrible. Et puis trois lumières sont apparues au loin, Yvan, Nathalia et toi, oui, toi. Sans toi je me serais perdue, je serai morte dans ce désert. Mais tu es arrivé et j'ai compris qui j'étais vraiment. Je l'ai compris, grâce à toi. Thomas, je ne peux que te remercier. Sans toi, je ne sais pas ce que je serais devenue...

     

    Thomas fixa la jeune fille dans les yeux. En cherchant bien, on pouvait y lire de la reconnaissance

     

    -Tu sais Laurélia, moi aussi je et dois beaucoup. Tu m'as fait comprendre que je n'étais pas seulement cette parcelle de noirceur qui m'a poussé à frapper le soir où j'ai été renvoyé de mon ancien collège. Tu m'as fait comprendre que je pouvais aussi être quelqu'un de bien. Laurélia... Tu m'as fait comprendre que je pouvais être différent aux yeux de mes parents. Grâce à toi, j'ai compris qu'ils pouvaient m'aimer et être fiers de moi. Sans toi, je me serais recroquevillé sur moi-même. J'aurais tout fait pour disparaître, et j'aurai fini par disparaître. Je ne t'ai pas dit. Mais depuis mon renvoi jusqu'à ce que je e rencontre, j'avais complètement arrêté de dessiner. Je n'avais plus touché à un seul crayon pendant un an. Tu m'as redonné goût au dessin Laurélia. Et ça, c'est le plus beau cadeau que tu aurais pu me faire...

     

    Un court silence s'installa, bientôt brisé par trois coups frappé à la porte. Laurélia cria un "entrez" et Nathalia pénétra dans la pièce.

     

    -Bonjour Thomas, ta mère vient d'appeler. Tu vas rester manger ici. Le repas sera servie dans...

     

    Nathalia jeta un rapide coup d'oeil à sa montre.

     

    -...dans une demi heure, ça te va? Je suis en bas avec Yvan, si vous avez le moindre problème, appelez nous !

     

    Nathalia s'en alla comme elle était venue, marchant avec douceur jusqu'à la porte. Juste avant qu'elle sorte, Thomas lâcha un "merci". La mère de Laurélia se retourna et lui lança un magnifique sourire. Ce n'était qu'un merci, mais il venait du fond du coeur...

     

    La demi heure passa vite, Laurélia et Thomas ne s'arrêtèrent pas un instant de parler. Quand Yvan les appella, ils se turent enfin, la gorge sèche. Ils descendirent tous deux l'escalier et entrèrent dans la cuisine. C'est la première fois que Thomas venait dans cette pièce. Elle était petite mais chaleureuse. La table en bois massif occupait la plus grande partie de cette petite pièce. La lumière entrait par une petite fenêtre située au-dessus de l'évier. Les meubles étaient en bois sombre et semblaient anciens. Yvan était déjà assis sur une des chaises autour de la table. Thomas demanda poliment où il devait s'asseoir et Nathalia lui désigna une chaise, à côté d'Yvan, tendit qu'elle sortait du four un gratin de courgettes et pommes de terre encore fumant.
    A la fin du repas, Nathalia prit Thomas à part.
    -Il faut que je te dise, ta mère vient d'avoir un accident de voiture, c'est pour ça que tu restes manger chez nous. Ne t'inquiètes pas, elle n'a rien de grave. Mais elle va tout de même devoir rester jusqu'à demain à l'hôpital pour faire des examens. Le problème, c'est que ton père est en déplacement, à Paris. Ta mère ma gentiment demandé si par hasard je voulais bien t'héberger pour la nuit et j'ai accepté. Voilà. Donc tu dors chez nous ce soir. Si tu veux passer chez toi prendre des affaires, je peux t'emmener maintenant.
    Nathalia l'emmena bien vite chez lui pour prendre des affaires. Thomas fut le plus rapide possible, un pyjama, son carnet, ses crayons, ce dont il avait besoin pour s'habiller le lendemain et un livre qu'il prit au hasard dans les étagères de la bibliothèque familiale "Les hauts de Hurle-vent". Tout cela ne dura pas plus de dix minutes et ils furent bientôt de retour chez Nathalia et Yvan. Laurélia n'avait pas finit de prendre sa douche, Thomas s'installa donc sur le lit que lui avait préparé Yvan dans la chambre d'amis et ouvrit le livre. Il s'enfonça dans l'ouvrage, il se perdit dans les mots.
    Quand Laurélia arriva, enveloppée dans un gilet trop grand qu'elle portait sur son pyjama et ses cheveux mouillés lui tombant dans le cou, elle trouva Thomas en pleine lecture, ses doigts tournant fébrilement les pages du livre. La jeune fille se glissa silencieusement derrière le jeune homme de manière à pouvoir lire par-dessus son épaule. "Les Hauts de Hurle-vent" d'Emily Brontë, ce livre lui disait quelque chose... Les yeux de Laurélia s’arrêtèrent sur un paragraphe, et elle se mit à lire;
    Sur le rebord de la fenêtre où je plaçais ma chandelle, se trouvaient empilés dans un coin quelques livres rongés d'humidité ; ce rebord était couvert d'inscriptions faites avec la pointe d'un couteau sur la peinture. Ces inscriptions d'ailleurs, répétaient toutes le même nom en toutes sortes de caractères, grands et petits, Catherine Earnshaw, çà et là changé en Catherine Heathcliff, puis encore en Catherine Linton.
    Dans ma pesante empathie, j'appuyai la tête contre la fenêtre et continuai à épeler Catherine Earnshaw... Heathcliff... Linton... mes yeux finirent par se fermer.

     

    Thomas sentit une respiration sur son épaule, il tourna doucement la tête pour voir qui était là. C'était Laurélia.
    -Tu lis? dit-il?
    La jeune fille, qui s'était laissée happer par le mots, sursauta.
    -Oh ! Tu m'as fait peur.
    -Je suis désolé, je ne pensais pas que tu lisais si profondément.
    -C'est pas grave, t'inquiète... En tout cas, ton livre a l'air super.
    -Je suis tout à fait d'accord avec toi, ce livre est fantastique. Et j'ai eu de la chance parce que je l'ai pris au hasard dans la bibliothèque de mes parents.
    Laurélia et Thomas reprirent leur lecture, les mots s'enfilaient, ils avait l'impression de valser sur les landes d'Hurle-vent. Heathcliff et Catherine prenaient vie devant eux. Leurs yeux dansaient sur les pages du livre...

    ET POURQUOI PAS EN MAI ?

    Un bruit strident retentit dans les oreilles de Thomas. Il remua, bougonna et se lèva pour éteindre son réveil. Déjà six heures et demi, la nuit passait trop vite, c'était ahurissant. Par terre gisait les Hauts de Hurle-vent, seul vestige de la soirée. Auraient-ils pu imaginer qu'ils la passeraient à lire ? Non, mais pourtant, cette soirée resterai toujours gravée en eux.
    Soudain, le jeune homme relèva la tête en entendant trois coups frappée sur la porte.
    -Je peux entrer?
    -Bien sûr.
    La jeune fille apparût. Elle semblait encore endormie et ses cheveux étaient si emmêlés qu'ils avaient l'air d'avoir été crêpés.
    -Euh... Bon, je ne suis pas très belle, mais on va dire que tu n'as rien vu, dit-elle en riant, comment vas-tu?
    -Plutôt bien. Un peu fatigué mais à part ça...
    -Je... tu ne sais pas comme, comme j'ai aimé notre soirée d'hier. Les Hauts de Hurle-vent... Ce livre est magnifique...
    -Je suis d’accord avec toi, hier j'avais l'impression que je n'arriverais jamais à refermer le livre. Si Nathalia n'était pas venue, j'y serais encore.
    -Moi aussi, je me demande comment j'ai réussi à me coucher sans avoir lu la suite.
    A ce moment là, on entendit Yvan qui criait;
    -Eh là-haut, on s'lève, il s'agit pas d'être en retard ce matin.
    Les deux amis obéirent à contre coeur. Chacun regagna sa chambre pour s'habiller et préparer ses affaires. Une bonne dizaine de minutes plus tard, ils se retrouvèrent autour de la table du petit déjeuner. Yvan s'y trouvait également et il s'adressa immédiatement à Thomas.
    -Qu'est-ce que tu vas manger? demanda-t-il.
    -Euh, je ne sais pas, ce que vous voulez, répondit Thomas.
    -Alors, déjà, j'ai deux choses a te dire, continua Yvan d'une voix faussement grondeuse, un, on ne me vouvoie pas ici, je déteste ça et deux je n'aime pas du tout les je-ne-sais-pas, alors tu choisis, tu peux prendre ce que tu veux, à part peut-être du jus de Pastèque et de la confiture de chorizo, ce que, bien sûr nous n'avons pas...
    -D'accord, alors si ça ne vous...
    -Hum hum...
    -... Si ça ne te déranges pas, je prendrai un yaourt et une tartine.

     

    Le petit déjeuner se continua ainsi, ponctué par les remarques joyeuses d'Yvan. Bientôt, il fut l'heure de se mettre en chemin pour aller au collège. Les deux amis y allaient à pieds, puisqu'ils se trouvaient à moins d'un quart d'heure de marche du collège. Le chemin qu'ils prenaient était magnifique car il longeait la rivière qui traversait la petite ville.

     

    C'est Laurélia qui entama la conversation;

     

    -Tu sais Thomas, quand je passe par ici, tous les matins, j'ai toujours une poésie en tête. Aujourd'hui, c'est "Mai" d'Apollinaire.

     

    -"Mai"? Je ne connais pas, tu peux me la réciter?

     

    -Si tu veux.

     

     

     

    Le mai le joli mai en barque sur le Rhin

     

    Des dames regardaient du haut de la montagne

     

    Vous êtes si jolies mais la barque s'éloigne

     

    Qui donc a fait pleurer les saules riverains

     

     

     

    Or des vergers fleuris se figeaient en arrière

     

    Le pétales tombés des cerisiers de mai

     

    Sont les ongles de celle que j'ai tant aimée

     

    Les pétales flétris sont comme ses paupières

     

     

     

    Sur le chemin du bord du fleuve lentement

     

    Un ours un singe un chien menés par des tziganes

     

    Suivaient une roulotte traînée par un âne

     

    Tandis que s'éloignait dans les vignes rhénanes

     

    Sur un fifre lointain un air de régiment

     

     

     

    Le mai le joli mai a paré les ruines

     

    De lierre de vigne vierge et de rosiers

     

    Le vent du Rhin secoue sur le bord les osiers

     

    Et les roseaux jaseurs et les fleurs nues des vignes

     

     

     

    Voilà... je sais que nous ne sommes ni en mai ni sur le bord du Rhin. Mais cette poésie convient si bien à ce matin-là...

     

    -J'aime beaucoup, vraiment. Je ne sais pas, je crois que j'ai déjà entendu cette poésie quelque part, il faudrait que je demande à ma mère.

     

    -En parlant de poésies, je voudrais te dire que j'ai vu un concours national et j'aimerai bien y participer.

     

    -Mais c'est une super idée ça!

     

    -Oui, mais... Mais je ne sais pas si je dois prendre une poésie que j'ai déjà écrite, si je dois en écrire une nouvelle, je ne sais pas laquelle choisir, je ne sais pas quoi écrire.

     

    -Si tu veux, je peux t'aider, je pense que ma mère va être fatiguée de son séjour à l'hôpital et qu'elle sera contente que je la laisse un peu seule ce soir. Donc, si ça ne gêne pas ta famille, je peux passez.

     

    -Je pense que Nathalia et Yvan seront d'accord également.

     

    Tandis qu'ils parlaient, ils entrèrent dansl'nceinte du collège et se séparèrent pour rejoindre leurs classes respéctives.

     

     

     

    LE CHOIX

     

     

     

    Laurélia était assise au milieu de sa chambre, autour d'elle étaient éparpillées une trentaine de feuilles blanches. Elle les avait placé là pour que Thomas est moins de mal à choisir. Elle savait qu'il arriverait bientôt et elle avait raison car c'est ce moment là qu'il choisit pour entrer dans sa chambre.

     

    -Salut ! Commença le jeune homme, oh, c'est toutes tes poésies?

     

    -Oui, il y en a vraiment un paquet.

     

    Thomas s'agenouilla près de Laurélia et commença à lire les titres qui se trouvaient sur les feuilles.

     

    -Brest, les décombres, la scène, l'oiseau, voyage, décembre, souvenirs, arachnée, désert blanc, zone industrielle, je te le jure...

     

    -C'est mes plus récentes, les autres, elles sont empilés là-bas, mais je ne les aime pas trop.

     

    Thomas pris une feuille après l'autre et les lu tout en les plaçant en deux paquets différents. Quand il eut fini, il s'adressa à Laurélia.

     

    -J'en ai deux qui me plaisent plus que les autres. C'est la scène et zone industrielle.

     

    Et il se mit à les lire à haute voix.

     

    -La scène

     

     

     

    Je suis une actrice sur scène

     

    Une actrice qui ne sait pas jouer

     

    Une actrice qu'on malmène

     

    Et qu'on envoie balader

     

     

     

    Une actrice qui doit improviser

     

    Le rôle d'une fille heureuse, enjouée

     

    Tous les jours, toute l'année

     

    Toujours sans s'arrêter

     

     

     

    Mais je suis lasse de jouer

     

    La fille heureuse tous les jours

     

    De devoir mentir, toujours

     

    Alors que j'ai envie de pleurer

     

     

     

    Je suis une actrice seule sur scène

     

    Une actrice qui ne sait pas jouer

     

    dont les mots s'emmêlent, désespérés

     

    Entre les larmes qui coulent sans s'arrêter

     

     

     

    Le public la raille

     

    Veut qu'elle s'en aille

     

    Mais elle est contrainte à rester

     

    Sur cette scène toute l'éternité

     

     

     

    Alors elle se souvient de son enfance

     

    Court moment d'insouciance

     

    Dont elle n'a pas su profiter

     

    Et elle se laisse aller

     

     

     

    Elle pleure les larmes de la haine

     

    Contre ce qui la force à exister

     

    Puis se recroqueville sur elle même

     

    Et se met à rêver

     

     

     

    De cette vie qu'elle a su rater

     

    Elle peut encore s'échapper

     

    Partir vers un monde pleins de merveilles

     

    Qu'elle seule à su inventer

     

     

     

    Plages de sable fin,

     

    Montagne enneigées

     

    Au loin je peux voyager

     

    Et pendant un temps oublier...

     

     

     

    Thomas s'arrêta, un instant, il reprit son souffle car il avait déclamé la poésie d'une seule traite, sans s'arrêter. Puis il continua avec la seconde poésie;

     

     

     

    -Zone industrielle

     

     

     

    C'était au fin fond d'une zone industrielle

     

    Derrière les cheminées qui montaient jusqu'au ciel

     

    Les oiseaux avait disparu depuis longtemps

     

    Las de ne plus entendre leur propre chant

     

    Couvert par le fracas incessant des machines de l'usine.

     

    La vie avait tout déserté

     

    Seuls restaient les ouvriers

     

    Contraint à travailler ici toute leur vie

     

    Pour nourrir leur pauvre famille

     

    Dans un coin retranché

     

    Contre un mur à moitié effondré

     

    Une petite fille de huit ans à peine

     

    Pleurait, recroquevillée sur elle-même.

     

    "Pourquoi sont-ils tous partis ?

     

    Me laissant seule, sans amis

     

    Sans personne à qui parler

     

    M'ont-ils donc tous oublié?

     

    Tout est désert autour de moi

     

    Je chercher ma mère, je ne la vois pas

     

    Il n'y a même plus d'ouvriers

     

    L'usine est désaffectée

     

    Où est donc passé mon enfance?

     

    Ma vie heureuse, mon insouciance.

     

    J'ai tout perdu tout oublié,

     

    Dans cette usine désertée..."

     

    Elle ne voyait pas la vérité

     

    Les cadavres étendus par terre

     

    Sans sépultures, loin du cimetière.

     

    Les cadavres jonchaient le sol, transparents

     

    Pour ses petits yeux innocents.

     

    Seule rescapée d'un accident,

     

    Qu'on aurait préféré cacher

     

    Seule rescapée d'un massacre,

     

    Qui ne fut jamais oublié

     

    Seule rescapée, seule rescapée,

     

    Seule rescapée, folle à lié...

     

     

     

    -Je suis assez d'accord avec ta sélection, mais je ne saurai pas choisir.

     

    -Moi non plus, ils sont tous les deux magnifiques.

     

    Laurélia était en pleine réflexin quand elle se leva précipitamment.

     

    -Je reviens tout de suite, je viens de penser à un truc !

     

    Quelques minutes plus tard, Laurélia était de retour et elle tenait à la main une feuille de papier.

     

    -C'est quoi ça? demanda Thomas.

     

    -Le règlement du concours, je me suis souvenue qu'on pouvait envoyer deux poèmes et du coup je suis allée vérifier si j'avais raison, et c'est effectivement ça !

     

    -Du coup, tu vas envoyer les deux?

     

    -Oui, enfin, je pense. Et toi tu ferais quoi?

     

    -Je mettrais les deux poèmes et j'attendrai impatiemment les résultats du concours.

     

    Et à ce moment là, ce moment où Laurélia s'y attendait le moins, Thomas se pencha vers elle et l'embrassa. La jeune fillle ne comprit pas tout de suite ce qui se passait. quand elle réalisa, elle se dégagea, l'air aussi étonné que si Thomas venait de lui annoncé qu'il était un extraterrestre.

     

    -Je... je m'excuse, bafouilla le jeune homme.

     

    Les deux amis étaient plus que gênés. Le teint de Laurélia avait viré au rouge tandis que les joues de Thomas devenaient blêmes.

     

    -Ce n'est pas grave, reprit Laurélia, ce n'est pas grave du tout. J'ai juste besoin de réfléchir, un peu...

     

    -Bon, euh, je vais rentrer, à demain, au collège.

     

    Et s'en attendre le moindre au revoir de la part de Laurélia, le jeune homme passa la porte et s'en alla.

     

     

     

    LA MUSIQUE NE S'ARRÊTE JAMAIS SUR LES DERNIERS ACCORDS DE GUITARE

     

     

     

    Des jours sont passés, beaucoup, sûrement beaucoup, de toute façon, personne ne les a compté. Laurélia prends son petit déjeuner, assise au soleil. Elle ne pense à rien, et elle pense à tout en même.

     

    Un coup de sonnette retentit. Elle cours pour ouvrir. C'est le facteur, il tient une lettre. Le sang de Laurélia se glace, c'est les résultats du concours. A-t-elle gagné? A-t-elle perdu? Le facteur s'en va, Nathalia arrive.

     

    -Pourquoi tu n'ouvres pas la lettre?

     

    -Je ne sais pas, je... je dois l'ouvrir avec Thomas.

     

    Un éclair passe dans les yeux de Nathalia, elle pense avoir compros.

     

    -D'accord, mais alors, invite-le cet après-midi, je suis vraiment pressée de savoir ce que contient cette lettre.

     

    Le repas passe, toute la famille semble impatiente. Laurélia frémit au moindre bruit. Yvan finit par l'autoriser à aller s'asseoir devant le portail de la maison.

     

    -Comme ça, tu pourras voir si Thomas arrive.

     

    La jeune fille n'en peut plus d'attendre. Le stress s'empare d'elle. Elle pense qu'elle a perdu, c'est sûr, elle ne peux pas faire le poids par rapport aux autres concurrants. Thomas n'arrive toujours pas, Laurélia s'en prend à ses ongles, qu'elle se met à ronger. Elle compte les secondes, elle compte les oiseaux, elle compte les nuages. Il ne faut pas qu'elle pense à la lettre, sinon elle va fondre en sanglots. Soudain, une silhouette apparaît au bout de la rue. Thomas, comme la première fois qu'elle l'a vu, sauf qu'il porte des écouteurs dans les oreilles.

     

    Laurélia court vers lui en essayant tant bien que mal de masquer son impatience.

     

    D'un air impassible, Thomas retire les écouteurs de ses oreilles.

     

    -Je t'ai manqué?

     

    -Oh oui, j'ai attendu ta visite tous les soirs, et tu n'es pas venu.

     

    Tout en parlant, la jeune fille saisit un écouteur, qu'elle glisse dans son oreille. C'est Brassens, comme à leur seconde rencontre.

     

    "Ma mi' de grâce ne mettons

     

    Pas sous la gorge de Cupidon

     

    Sa propre flèche

     

    Tant d'amoureux l'ont essayé

     

    Qui de leur bonheur ont payé

     

    Ce sacrilège...

     

    J'ai l'honneur de

     

    Ne pas te de-

     

    Mander ta main

     

    Ne gravons pas

     

    Nos noms au bas

     

    D'un parchemin."

     

    Les yeux des deux adolescents s'accrochent.

     

    -Tu sais, dit Laurélia, la musique ne s'arrête jamais sur les dernier accords de guitare...

     

     

    Dans l'ordre du texte ;

     

    Jeanne de Georges Brassens

     

    Souvenirs de moi-même (je m'y mets pour pas qu'on pense que je ne l'ai pas mentionné)

     

    Désert blanc de moi-même

     

    Les Hauts de Hurle-vent d'Emily Brontë

     

    Mai de Guillaume Apollinaire

     

    La scène de moi-même

     

    Zone industrielle de moi-même

     

    La non demande en mariage de Georges Brassens

     


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  •  Le travailleur :

     

    Il n'avait rien dit à personne, mais il avait déjà tout préparé à ce moment-là, c'est certain. Il avait tout préparé dans sa tête, en se souvenant des routes et des cartes, et des noms de villes qu'il allait traverser. Peut-être qu'il avait rêvé à beaucoup de choses, jour après jour, et chaque nuit, couché dans son lit dans le dortoir, pendant que les autres plaisantaient et fumaient des cigarettes en cachette. Il avait pensé aux rivières qui descendent doucement vers leurs estuaires, aux cris de mouettes, au vent, aux orages qui sifflent dans les mâts des bateaux et aux sirènes des balises. C'est au début de l'hiver qu'il est parti, vers le milieu du mois de septembre. Quand les pensionnaires se sont réveillés, dans le grand dortoir gris, il avait disparu. On s'en est aperçu tout de suite, dès qu'on a ouvert les yeux, parce que son lit n'était pas défait.

    Paul avait toujours été un peu étrange. Il ne parlait jamais de lui, jamais de sa famille, on ne savait pas d'où il venait, il ne recevait jamais de colis, jamais de lettres. Rien. Il restait assis dans l'ombre, toujours pensif. Je ne le connaissait que parce qu'il travaillait avec moi à l'usine. On été chargé de préparé les moules des munitions. Parfois, on échangeait quelques mots, mais c'était rare. Ce serait faux de dire qu'il me manque depuis qu'il s'est enfui.

     

     Carnet de Paul Rundewall:

     

     25 septembre 1943 ; camps de STO de Fribourg-en-Breisgeau

     

     Je veux partir, je ne supporte plus la ville de Friboug-en-Breisgeau, je ne supporte plus le camp. Ces munitions, je les fabrique pour tuer des Français, mais je ne veux tuer personne. Personne.

    Je me demande encore pourquoi j'avais quitté les Pays-Bas pour la France. Depuis qui je m'y étais installé, la guerre avait éclaté, et tout me retenait en France. Je n'aurai jamais du rester, c'est la plus grande erreur de toute ma vie. Je me souviens encore du trois mars, quand j'ai reçu l'ordre de partir pour l'Allemagne pour travailler au STO.

    Sept mois dans ce camps, je n'en peux déjà plus. Qui sait combien de temps durera la guerre. C'est décidé, demain je m'enfuirais. J'ai remarqué qu'à 22 heures, quand on doit aller prendre nos douches, la surveillance se relâche. Je prendrai mes affaires (de toute façon, je n'en ai pas beaucoup) et je les mettrai sous ma serviette de bain.

     

    Le chef de travail

     

    J'avais beau être le chef de travail de cette partie de l'usine, je n’aimais pas le STO pour autant. Je suis bon travailleur et c'est pour ça qu'on m'avait donné ce poste. Un soir de septembre 43, je m'en souviens, j'avais vu un gars, Paul je crois, qui partait à l'opposé des douches. Il s'enfuyait et je n'ai rien fait ou plutôt, j'ai fait comme si je n'avais rien vu. Je ne sais pas s'il a réussi à sortir du camps, mais je ne l'ai jamais revu. J'espère qu'il a survécu et qu'il est arrivé à s'enfuir. Mais, je le répète, je ne l'ai jamais revu.

     

    Carnet de Paul Rundewall:

     

    26 septembre 1943 : quelque part près de la Forêt Noire.

     

    J'ai fait en sorte d'être un peu en retard pour aller aux douches. Les autres travailleurs étaient loin devant moi. Alors, je me suis assuré que personne ne pouvait me voir et je suis passé par dessus le grillage. Une fois de l'autre côté, j'ai vérifié une dernière fois que personne ne me regardait et là, je l'ai vu, le chef de travail, qui me fixait. Je n'ai pas hésité une seule seconde, je me suis retourné et je suis parti en courant. J'ai traversé le petit bois, je me suis éloigné le plus possible de la zone industrielle, j'ai couru à travers les champs, le plus loin possible... A la tombée de la nuit, je me suis arrêté dans une petite grotte dans la montagne. J'ai commencé à gravir les hauteurs, pour traverser la Forêt Noire, il me faudra au moins trois jours de marche, et encore, pour y arriver, il faudrait que je marche vite. Pourtant, il faut que je passe le Rhin le plus vite possible, de l'autre côté on ne saura pas tout de suite que je suis recherché.

     

    27 septembre 1943 : Petit refuge quelque part en Forêt Noire.

     

    Je suis fatigué, je ne sens plus mes jambes. J'ai marché toute la journée, sans m'arrêter. Enfin, je suis arrivé à ce petit refuge. Heureusement qu'il était là, je n'aurai pas aimé passer la nuit dehors. Depuis hier, le temps s'est nettement rafraîchi. Je ne serai pas surpris s'il se mettait à neiger avant la fin de la semaine. Il faut que je franchisse le plus vite possible le Rhin, avant la neige, sinon, ça va devenir trop compliqué.

     

    28 septembre 1943 : Quelque part en Forêt Noire, de plus en plus près du Rhin.

     

    J'y suis presque, demain je traverse. Avant la neige, comme je me l'étais promis. J'espère que j'arriverais à dormir cette nuit, malgré le froid. A moins que... oui, je crois qu'il y a une petite maison là-bas. Il faut que j'aille voir.

     

    Le bûcheron;

     

    Par ma fenêtre, je l'ai vu arriver. Un homme, vêtu d'un pantalon brun déchiré sur les genoux, et d'une chemise de la même couleur, exactement. Je me suis dit que ça pouvait pas être un simple promeneur, surtout qu'il avait l'air d'avoir marché au moins deux jours sans s'arrêter, non, il avait plus l'air de quelqu'un en fuite. Il semblait épuisé, je n'allais quand même pas lui fermer la porte au nez, surtout par ce temps, alors au contraire, je l'ai ouverte. L'homme a tout d'abord froncé les sourcils, et quand il a vu mon visage, et l'expression bienveillante qui s'était peinte dessus, il a sourit, d'un sourire de soulagement, un sourire franc. Il a hésité sur le pas de la porte, mais je lui ai fait signe d'entrer, et il m'a suivi.

    Il s'est assis sur la chaise la plus proche du feu, et il a eut raison, parce qu'il avait l'air d'avoir eut très froid. Cet homme, je ne le connaissais pas, je ne l'avais jamais vu. Pourtant, j'ai été sympa, je lui ai ouvert ma porte, mais quand même il a bien fallut que je lui pose quelques questions.

    « -Hum... Vous m'avez pas l'air d'un promeneur, qu'est-ce qui vous amène par ici?

    -Je ne vous connaît pas, je ne sais pas qui vous êtes, pour qui vous êtes, mais je vais vous faire confiance. Je ne vais pas vous mentir, je suis un travailleur du STO qui s'est échappé.

    -Je vois, je n'avais encore jamais hébergé un fuyard de ce genre... Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de m'occuper de personnes comme vous. Enfin, vous m'avez compris. Je n'ai jamais dénoncé personne. Si quelqu'un n'est pas correct avec moi, je le chasse à coup de fusil. Voilà, vous êtes prévenu, mais de toute façon, vous ne m'avez pas l'air bien méchant !

    -Vous avez raison, je suis tellement fatigué que je ne ferai de mal à personne et surtout pas à vous, en premier parce que je n'ai aucune raison de vous en vouloir, et en second, vu votre force, mieux vaut ne pas vous provoquer.

    -Je suis content que vos intentions ne soient pas mauvaises, continuais-je sur un ton rieur, où compter vous allez, quand vous aurez traverser la Forêt Noire ?

    -Je vais essayer de remonter le Rhin, jusqu'à Rotterdam, aux Pays-Bas, c'est mon pays natal, je compte y retrouver ma famille, et y commencer une nouvelle vie.

    -Les Pays-Bas ! Tu vises loin dit donc, tu en as encore pour un bon bout de marche ! Mais bon, je ne suis pas là pour te baisser le moral, et puis, tu m'as l'air bien décidé ! Mais, pourquoi suivre le Rhin? Et n'as tu pas peur de te faire arrêter?

    -Je vais essayer de m'éloigner le plus des villes et des villages où je serai très facilement repérable, et puis, le Rhin me permettra de ne pas me perdre. Si je me fais arrêter, tant pis, c'est une possibilité que j'ai beaucoup envisagé. Mais j'ai fini par me dire que le principal est d'avoir tenté, si je meurs, ce ne sera pas d'avoir trop travaillé, ce sera en ayant essayé de retrouver mon pays, et ma famille, ce sera une belle mort...

    -Tu m'as l'air déterminé, et j'aime cette détermination, je vais t'aider. Tu veux traverser le Rhin, et bien, je te donne ma barque. Tu la trouveras amarrée à cent mètres environ du grand embarcadère. Essaye de ne pas te faire voir, on pourrai me soupçonner. Et quand tu seras de l'autre côté, laisse-là dans les broussailles, près de la petite chapelle, je trouverai bien un moyen de la récupérer. »

    Je trouvais que cet homme était sympathique. J'ai appris qu'il s'appelait Paul et je lui ai même proposé de manger avec moi, ce que je ne fais que très rarement. Puis il est parti se coucher dans la petite chambre que j'avais aménagé au grenier. Le lendemain, quand je me suis levé, il partait. C'est la première fois que j'étais triste de voir un fuyard, comme je les appelle, s'en aller...

     

    Carnet de Paul Rundewall

    29 septembre 1943, de l'autre côté du Rhin.

    Ce matin, j'ai marché environ une heure et j'ai atteint le Rhin. J'ai suivi le fleuve sur une centaine de mètres, comme me l'avait dit le bûcheron. J'ai trouvé la petite barque sous un saule pleureur. Juste à ce moment là, une patrouille de soldats allemands est passée, ils se sont arrêtés et m'ont dévisagé. J'ai pris un air très détendu, mais j'étais mort de peur qu'ils me demandent mes papiers. J'ai prononcé le plus joyeusement possible un "Guten Tag" tout en cachant mes mains qui tremblaient. Ils m'ont répondu sur le même ton et se sont éloignés. J'étais vraiment soulagé et je me suis dépêché de mettre la barque à l'eau, sur le fleuve. J'étais en sécurité pour un petit moment. Tout en ramant, je me demandais, et je me demande encore, pourquoi les soldats n''avaient pas réclamé mes papiers comme ils auraient dû le faire. Peut-être était-ce parce que mon accent allemand est irréprochable et qu'ils s'imaginaient qu'un fuyard ne sait pas aligner trois mots dans cette langue.

     

    Le lieutenant

    Je n'avais pas prêté grande importance à cet homme, Paul Rundewall qu'il s'appelait, mais ça, je l'ai appris plus tard. Cet homme, il ne m'avait pas paru suspect avec son accent irréprochable et sa petite barque . Pourtant j'aurai du me méfier. Quand j'y repense, je m'en veux, j'aurai du me méfier. Mais ce qui est sûr, c'est que je ne referais jamais la même erreur, je n'oublierai jamais de demander ses papier à quelqu'un...

     

    Carnet de Paul Rundewall

    29 septembre 1943, en fin de soirée, à Colmar,

     

    J'ai traversé le Rhin, tranquillement, lentement, j'ai pris tout mon temps. Je voulais profiter de ce court instant de liberté. J'ai fini par atteindre la rive, alors j'ai amarré la barque à l'arbre le plus proche de la petite chapelle. Avant de m'en aller, j'ai déchiré une page de mon carnet et j'ai écris un mot de remerciement pour le bûcheron. J'y ai mis l'adresse de ma mère, au Pays-Bas, comme ça, au cas où... Je sais que je prends un risque en faisant cela, mais, j'en ai déjà pris tant...

    J'ai marché environ deux heures, marchant dans les vignes de Neuf-Brisach, puis d'Andolsheim et enfin, je suis arrivé à Colmar. Là-bas, je comptait m'installer dans l'auberge du Saesserle car le propriétaire était un ami. Il a été heureux de me revoir et proposa de m'héberger pour une nuit, ou plus. J'ai décliné le plus, j'avais encore une longue route à faire jusqu'à Rotterdam, et il fallait que j'y sois le plus tôt possible...

     

    Le propriétaire de l'auberge de Colmar

     

    Il était vingt heures, vingt-et-une heures au maximum quand il est arrivé. L'auberge était complètement vide, tous les clients étaient soit dans leur chambre soit en train de se balader dans le village. Je l'ai tout de suite reconnu, même s'il avait bien changé. Il avait une barbe de trois jours et ses habits étaient sales et déchirés. Pourtant s'était Paul Rundewall. Il m'a immédiatement pris à part pour me demander s'il pouvait passer la nuit chez moi. «Tu n'es pas obligé d'accepter, je suis un fuyard. Si on m'arrête, tu risques la prison. » Paul pensait peut-être que j'allais le chasser, on ne se conduit pas ainsi avec un vieil ami. Je lui ai même proposé de rester dormir plusieurs jours, mais il a catégoriquement refusé. « Je dois être le plus vite possible aux Pays-Bas. » qu'il disait. Je ne l'ai pas retenu et le lendemain, il est reparti. Son séjour a été court, mais j'ai été content de le voir. Il avait beau avoir peur, il était libre...

     

    Carnet de Paul Rundewall

     

    30 septembre 1943; Mackenheim

     

    Je suis repartie au petit matin, j'ai fait mes adieux à mon ami et je suis sorti de l'auberge. C'est si drôle à dire comme ça, mais je ne m'attache de moins au moins aux gens. Je passe rapidement et je repars, mon seul but, c'est Rotterdam. Juste Rotterdam.

    Il doit être midi, j'ai marché cinq heures ce matin et j'ai rejoins le Rhin. Je m'arrête de temps à autre, parce qu'il le faut bien. Si je n'y était pas obligé, je ne le ferai pas, je marcherai jour et nuit, pour arriver le plus tôt possible à Rottedam, pour revoir le plus tôt possible ma mère, et ma famille...

    Cet après-midi, je compte encore marcher, cinq heures également, si possible, cela dépendra de mon niveau d'épuisement. A la nuit tombée, je dormirai à la belle étoile, quelque part dans un champs. Autant me faire discret, je pense que maintenant, je suis également ici.

     

    30 septembre 1943; Rhinau

     

    J'ai du marcher quatre heures cette après-midi, pas plus. Je suis fatigué, je n'en peux plus. Mes jambes me font mal, je dois me reposer, et surtout, je dois manger, la faim me tiraille. Si je demande à manger à quelqu'un, cette personne me demandera qui je suis, et il me fera arrêté si il sait que je suis un fugitif. Si je vole à manger, je risque encore plus de me faire arrêter, je ne sais plus que faire...

    Une jeune femme passe, elle me jette un rapide regard et s'éloigne rapidement. Elle doit penser que je suis dangereux, à cause de mes habits et de ma barbe mal rasée. J'ai peur. Va-t-elle me dénoncer ? Je n'aurai pas la force de me défendre, je suis trop affaibli.

    Je la voie, elle revient, elle court dans le champs. J'ai peur, que va-t-elle me faire ? Je suis si loin du but, c'est, c'est horrible. tout ce que j'ai fait, pour rien...

    Non, elle s'approche, on dirait qu'elle n'a rien dit à personne. Elle me sourit timidement, m'adresse une phrase que je ne comprends pas. Elle s'approche et me tends un bol de soupe. Je murmure un merci presque inaudible. Elle ne me répond pas. Je mange la soupe encore brûlante, ça me réchauffe, je me sens déjà mieux. Une fois que j'ai finis l'assiette, elle la saisit et me dit une dernière phrase avant de s'enfuir. "Mon père était comme toi, c'était un fuyard. Il n'a pas eu de chance, ils l'ont attrapé et ils l'ont fusillé. Je ne te connaîs pas, je ne sais pas d'où tu t'es enfuit ni pourquoi, mais je ne veux plus de mort." ("Mein Vater war auch Flüchtling. Er hatte kein Glück., er wurde geschnapt und erschossen. Ich kenne dich nicht, ich weiss nicht aus welchem Lager du kommst. Aber ich will keine Toden mehr.")

    Moi qui pensais que tout le monde me voulait du mal, je me rend compte de mon erreur.

     

    2 octobre 1943; Bellheim

     

    Trois jours que je marche sans m'arrêter. Trois jours. Je ne me suis arrêter que pour dormir et me reposer, je n'ai même pas écrit dans ce carnet, je n'en avait pas le temps. J'avance sur mon chemin, j'ai dépassé Strasbourg hier, et je viens de franchir la frontière allemande. Bientôt, si on peut dire ça, je serai à Rotterdam, bientôt...

    Durant ces trois jours, il ne s'est rien passé de spécial, j'ai dormi dans les champs, évitant les villages et surtout contournant Strasbourg. Je n'ai parlé à personne. Par contre, un matin, je suis passé près d'une maison, qui devait être celle du boulanger. Dans la cuisine, ouverte au vent, il y avait une dizaine de gros pains. Il n'y avait personne, alors je suis rentré discrètement et j'en ai pris un. C'est vraiment un gros pain, la preuve, en trois jours, je ne l'ai toujours pas terminé. Pourtant, j'espère qu'il ne manquera pas à ce boulanger...

     

    Le boulanger;

     

    J'avais laissé dans la cuisine les dix gros pains que je venais de cuire, un pain comme ça, je n'en fais jamais beaucoup, ils sont tellement gros qu'un seul suffit à une famille entière. Toute ma commande reposait sur la petite table, et je me suis absenté, quelques instants. Quand je suis revenu, j'ai tout de suite remarqué qu'il en manquait un, puisqu'il y avait une place vide au milieu de la table. J'ai couru à la porte de la cuisine, mais il n'y avait personne, le voleur s'était déjà enfuit. J'ai couru à la mairie pour signaler la nouvelle.On me connaît bien ici, faut dire que je suis le boulanger. Et de toute façon, les allemands feraient tout pour me rendre service, vu le nombre de juifs et de résistants que je leur ai donné. "C'est un fuyard, il m'a volé des pains." que je leur ai dit et ils ont promis qu'ils feraient tout pour le retrouver.

     

    Carnet de Paul Rundewall

     

    3 octobre 1943, Ludwigshafen

     

    Ici c'est plus tranquille qu'en France annexée, je trouve. Ou bien j'ai pris confiance en moi et dans le monde extérieure. Ce soir, je dors dans une petite ferme abandonnée, et dans un lit. Je n'ai pas dormi dans une maison depuis que j'ai été engagé au STO. Ça me fait tout bizarre de me dire ça. Cette petite ferme est un vrai cadeau, par miracle, il y reste un peu de nourriture, ce qui me dispense de voler encore une fois. Il y a aussi des habits propres et en bon état, je vais pouvoir me changer, mes vêtements sales et troués attiraient trop l'intention sur moi. Il y a même une petite salle de bain et un rasoir, je peux dire adieu à ma barbe que je ne pouvais plus supporter. Je suis heureux ce soir, car je me sens vraiment en sécurité...

     

    6 octobre 1943, Boppard

     

    Trois jours de marche, encore, je me suis décidé à faire de plus grandes étapes, pour arriver plus vite à Rotterdam. Je suis déjà à la moitié de mon chemin. Il y a des jours où je me dis que ça n'avance pas et des jours où ça avance très vite. Hier, j'ai eu encore une fois très peur, je traversais un village (parce qu'avec mes habits neufs et mon allure plutôt naturelle pour l'instant, j'en profite), et j'ai croisé une patrouille de soldats. Je me suis souvenu qu'ils pouvaient à tous moment m'arrêter, et j'ai eut vraiment très peur, heureusement, ils ne m'ont pas prêté attention et j'ai pu continuer mon chemin. Mais depuis, j'évite quand même les villages, je commence à avoir peur de ne jamais voir la fin de ce voyage.

     

    8 octobre 1943, au alentours de Bonn

     

    Je commence à m'habituer à marcher huit heure par jour, je ne ressens presque plus la fatigue, c'est fou comme le corps humain est fait. S’adapter comme ça à un tel changement, et si rapidement, je n'en reviens pas. Aujourd'hui, j'ai atteins Bonn, bientôt je franchirai la frontière et je passerai au Pays-Bas. J'ai décidé d'arrêter de longer le Rhin, du moins jusqu'à la frontière, je veux être le plus rapidement là-bas car j'y serai en sécurité. Bien sûr, le pays est dominé par le gouvernement allemand depuis 1940, mais qui aura l'idée de venir me chercher dans ce pays. On me pense réfugié en France, et je suis à l'opposé.

     

    10 octobre 1943, Kerkrade,

     

    J'y suis, je suis aux Pays-Bas, j'ai retrouvé mon pays ! J'ai envie de crier, de sauter de joie, de pleurer... J'y suis... Mon voyage est presque fini. Plus question de me cacher. Je vais essayer de trouver une voiture ou quelqu'un pour m'emmener le plus proche possible de Rotterdam.

    Je me rappelle, un ami à ma mère avait déménagé à Kerkrade peu avant le début de la guerre. J'espère qu'il y habite encore, il pourrai peut-être m'emmener...

     

    L'ami ;

     

    Je n'en avais pas cru mes yeux quand j'avais vu arriver Paul. J'avais été un ami de longue date à sa mère et depuis mon déménagement, nous échangions de longues correspondances pour combler les kilomètres qui nous séparaient. Elle me parlait souvent de son fils, qui était allé vivre en France, et qui, malheureusement, avait été engagé au STO. Ce fut sans doute la plus grande surprise de ma vie quand je l'ai vu arriver, épuisé par un long voyage à pied, mais tellement heureux à l'idée de revoir sa mère. Je n'avait pas hésité un instant et je l'avait invité à dormir chez moi tout en lui promettant de l'emmener à Rotterdam le lendemain. Tout cela semblait irréel, comment peut-on parcourir un aussi long chemin avec comme seul but un nom de ville, Rotterdam. Je ne sais pas. Mais cela ne m'empêcha pas de le faire monter dans ma voiture le lendemain de son arrivée. Il était si heureux que cela me faisait chaud au cœur...

     

    Carnet de Paul Rundewall

     

    11 octobre 1943, sur la route pour Rotterdam.

     

    Trois heures de route, trois heures... C'est si long et si court en même temps ; si court en comparaison à tout le chemin que j'ai parcouru mais si long car je suis si impatient. Ma mère, je vais revoir ma mère, je suis libre maintenant. Je peux vivre. L'ami de ma mère a été très accueillant mais il ne semble pas comprendre mon impatience. Parfois je remarque les coups d'oeil qu'il me lance, il doit se demander ce à quoi je peux penser et ce qui me mets dans un tel état d'énervement. C'est pourtant bien simple, mais pour rien au monde je ne lui donnerait la réponse, il peut bien la trouver tout seul...

    La voiture croise un panneau qui indique « Rotterdam- 8 km ». Je me mets à trembler d'impatience. Plus que huit kilomètres. Qu'est-ce que peuvent bien représenter huit kilomètres sur huit-cent kilomètres ? Rien. Mais pourtant c'est trop long, trop long...

     

    La mère ;

     

    Je me souviens, j'avais entendu une voiture se garer devant l'immeuble. Il y avait tellement peu de voitures dans la ville en ce moment que je suis allé voir à la fenêtre. Cette voiture, c'était celle de mon ami, celui de Kerkade avec qui j'entretenais une correspondance régulière. J'avais commencé à descendre l'escalier. Et puis soudain, j'avais vu apparaître la tête, puis la silhouette de mon fils, mon fils Paul. Je l'avais tout de suite reconnu malgré sa maigreur et cet expression de gravité imprimée sur son visage. Il s'est jeté dans mes bras, cela faisait si longtemps...

     


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    Elle me manque. Il n'y avait qu'elle pour dire que j'étais jolie, pour me consoler quand j'en avais besoin, pour m'aider quand les camarades me faisaient des misères.

     

    Quand elle était encore là, elle me parlait d'étincelles dans les yeux. Elle disait que les yeux étaient le reflet de l'âme. Que les miens pétillaient. Qu'on sentait la curiosité et la joie de vivre.

     

    Elle a disparu. Purée Mamie-Louise, elle aurait pas pu attendre un peu ? Que j'aille un peu mieux, que je sois épanouie ? Moi je lui écris, tous les soirs, en venant sur sa tombe.

     

    Tous les jours. Si maman savait... Elle m'interdirait de sortir de la maison. Mais je m'en fiche, j'irais quand même.

     

    Elle me parlait d'étincelles dans mes yeux. Dans ce monde, il y a pas d'étincelles. C'est fade, c'est moche, c'est terne.

     

    Et dans tout ça, je brille. Puisque moi, j'ai des étincelles. Mais j'ai pas le courage de les assumer.

     

    Un jour, j'assumerai mes étincelles. Un jour, je t'emmènerais loin, loin, loin d'ici. Loin de ce monde sans étincelles et où toute seule, je brille. Loin de ce monde de souffrance.

     

    Un jour, je t'emmènerais là où il y a encore des étincelles. Je t'entraînerais avec moi dans le pays de l'amour.

     


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